Lorsque l’on s’approche du cellier Saint Pierre, le plus vieux bâtiment de la ville de Troyes, les sens sont en éveil. Ici se perpétue la tradition de la fabrication d’une liqueur dont la réputation n’est plus à faire : la prunelle de Troyes. Chaque jour, Alexandre Krumenacher veille sur son alambic en cuivre qui permet la distillation de ce breuvage produit à partir de noyaux de prunelles. Un recette dont le secret est gardé depuis 1840.
Les voies vertes du département de l’Aube me guident jusqu’à la ville de Troyes, capitale historique de la Champagne. Lorsque je me balade dans les ruelles de la vieille ville, j’ai comme l’impression de voyager dans le temps. Au Moyen-Âge, les marchands venus de toute l’Europe se retrouvaient ici lors des grandes foires. Parmi les bâtiments emblématiques de la ville, le cellier Saint Pierre fait figure de référence. C’est dans ce lieu chargé d’histoire qu’une précieuse liqueur nommée prunelle de Troyes est fabriquée à partir de noyaux de prunelle.
Je me souviens d’une vendange aux Riceys en 1993 où j’ai collé mon oreille contre une cuve. J’ai alors entendu la fermentation d’un rosé des Riceys. Ce moment m’a particulièrement marqué.
Alexandre Krumenacher, dernier fabricant de prunelle de troyes
Je retrouve Alexandre occupé auprès de l’alambic installé au sein de la distillerie du cellier depuis 1856. Lui n’est pourtant pas tombé dans la marmite étant petit. Seule sa mère, passionnée d’astrologie, lui prédisait un avenir dans les liquides. La révélation intervient au cellier Saint Pierre où il passe une partie de ses étés durant sa jeunesse. Il découvre alors la fabrication de sirops et surtout de la prunelle de Troyes : « Je me suis imprégné de ces lieux et cela m’a donné le goût à l’oenologie », raconte-t-il. Diplôme en poche, il débute dans les vignes et les cave des Riceys : « Je me souviens d’une vendange aux Riceys en 1993 où j’ai collé mon oreille contre une cuve. J’ai alors entendu la fermentation d’un rosé des Riceys. Ce moment m’a particulièrement marqué. »
Après cette expérience viticole, il revient à son premier amour : la prunelle de Troyes. Il travaille après des frères Formont, les propriétaires de la distillerie du cellier Saint Pierre. Il apprend alors la distillation de cette liqueur si singulière : « À l’époque la prunelle de Troyes était très peu fabriquée, il n’y avait que deux distillations par an. », raconte Alexandre. Dans les années 2000, ce breuvage retrouve sa notoriété d’antan et la production passe progressivement de 1600 à 15000 bouteilles ! Malgré cet engouement, la fabrication de la prunelle de Troyes reste entièrement artisanale et la recette (secrète) demeure inchangée depuis 1840.
Une fabrication artisanale
Construit au 12e siècle, le cellier Saint Pierre est le plus vieux bâtiment de la ville de Troyes. Il était notamment utilisé comme maison d’habitation pour les religieux. Après la révolution française, des marchands de vin prennent place dans ces lieux : « ils profitent des murs épais du cellier pour stocker les vins et alcools. » À l’époque, la ville de Troyes comptaient jusqu’à 20 distilleries qui avaient chacune leurs recettes de liqueurs. L’activité de ces distilleries était particulièrement intense en automne et en hiver lorsque les fruits récoltés étaient fermentés puis distillés.
Nous conservons le secret de fabrication pour le côté historique, mais j’assure qu’il n’y a que des bons produits dedans !
Alexandre Krumenacher, dernier fabricant de prunelle de troyes
Durant le printemps, il y avait peu ou pas de distillation mais il restait des sacs de noyaux de prunelles dont la coque conserve une amande au coeur. L’amande est alors mise en macération dans les eaux-de-vie qui n’avaient plus beaucoup de goût suite à la première distillation. Ces alcools sont ainsi aromatisés par les noyaux broyés puis distillés de nouveau. La liqueur obtenue a ce goût d’amande caractéristique de la Prunelle de Troyes. On ajoute enfin du sirop de sucre et des plantes qui lui confèrent sa complexité dont seul Alexandre à le secret puisqu’il est aujourd’hui le dernier gardien de la recette : « Nous conservons le secret de fabrication pour le côté historique, mais j’assure qu’il n’y a que des bons produits dedans ! », plaisante Alexandre.
Précisons que la prunelle est le fruit du prunellier (et non du prunier !). Cet arbuste était utilisé autrefois dans les grands domaines comme des haies « le fil de fer de l’époque ». Le fruit est petit, noir et rond comme la prunelle de nos yeux mais aussi très acide : « Quand on en mange une fois dans sa vie on s’en souvient », affirme Alexandre. Lui se fournit en noyaux auprès de confituriers qui utilisent la chair du fruit pour fabriquer des gelées.
Une liqueur au grand coeur
La prunelle de Troyes connait un certain succès au début du 20e siècle. En 1900, la liqueur obtient la médaille d’or à l’exposition universelle de Paris en 1900. À l’époque, elle s’appelait encore prunelle de Champagne mais la boisson fut rebaptisée prunelle de Troyes en 1998 à la demande du comité des vignerons de Champagne.
Profitant de l’engouement pour les produits locaux, la prunelle de Troyes retrouve ses lettres de noblesse depuis quelques années. La distillerie du cellier Saint Pierre, la seule encore en activité, produit 15 000 bouteilles de prunelle par an grâce à son alambic en cuivre chauffé au feu de bois. La production est consommée en grande partie localement car tous les points de vente se situent dans le département (on la retrouve dans une seule cave à Paris).
L’objectif est de conserver un patrimoine gastronomique et cette notion de fraternité. Quand on partage un verre de prunelle de Troyes, on passe toujours un bon moment.
ALEXANDRE KRUMENACHER, DERNIER FABRICANT DE PRUNELLE DE TROYES
La prunelle de Troyes se consomme fraiche, en digestif « mais comme tout médicament il faut surveiller la quantité de pilule que l’on ingère parce que c’est un produit qui est sucré mais qui titre à 40° ! ». Elle peut aussi être associée avec une salade de fruit ou encore un melon.
Fervent défenseur de sa liqueur, Alexandre a créé en 2013 la confrérie de la prunelle de Troyes qui intronise trois nouveaux chevaliers chaque premier samedi du mois de juin: « L’objectif est de conserver un patrimoine gastronomique et cette notion de fraternité. Quand on partage un verre de prunelle de Troyes, on passe toujours un bon moment. », conclut Alexandre.