Aux confins de la Franche-Comté, entre Montagnes du Jura et Vosges du Sud, le Pays de Montbéliard se distingue par son histoire et son authenticité. Ancienne principauté jusqu’en 1796, ce territoire a été le berceau de savoir-faire d’exception portés par des femmes et des hommes passionnés. Un patrimoine vivant mis en lumière depuis 2023 par la Route des Savoir-Faire, un circuit touristique de 25 entreprises industrielles, agricoles ou gastronomiques du Pays de Montbéliard.
Dès les premiers kilomètres en Pays de Montbéliard, nous plongeons dans un territoire fortement modelé par l’industrie. Deux entreprises, Japy et Peugeot, ont hissé le pays franc-comtois à une renommée internationale grâce à leurs innovations dans les domaines de l’horlogerie, de l’outillage, des accessoires domestiques ou encore de l’automobile. Si l’activité industrielle reste un pilier de l’économie locale, les savoir-faire artisanaux et gastronomiques contribuent également à l’identité singulière du Pays de Montbéliard. Nous sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui font perdurer cette richesse et cette créativité au cœur de la Route des Savoir-Faire.
Remettre les pendules à l’heure à Bart
La proximité du Pays de Montbéliard avec la Suisse a favorisé le développement de l’horlogerie dans la région au milieu du 18e siècle. En 1793, Montbéliard comptait déjà une soixantaine d’horlogers. Ce n’est toutefois pas la production de montres et pendules qui caractérise cette zone mais bien celle des ébauches et des mouvements. Sous l’impulsion de Frédéric Japy, la première mécanisation de la production verra la constitution de la plus grosse entreprise horlogère française à Beaucourt, à l’est du Pays de Montbéliard. La maison Japy a ainsi laissé une empreinte indélébile sur deux siècles d’horlogerie dans la région.
Bien que le nombre d’horlogers montbéliardais ait fortement diminué ces dernières années, quelques passionnés perpétuent ce précieux héritage. Martin Zupan, artisan d’origine allemande, est l’un d’eux. Il faut franchir les portes d’un temple protestant et monter au premier étage pour découvrir son atelier Et le temps passe, comme une référence au temps qu’il passe à (re)donner vie aux montres, pendules et horloges comtoises. « J’ai rangé mon atelier pour l’occasion ! », s’exclame Martin, en nous accueillant avec un large sourire. Dans ce lieu hors du temps, résonne les doux tic-tacs des mécanismes renaissants sous ses doigts experts.
Ancien ingénieur en électrotechnique, Martin a fait de sa passion pour la restauration de mécanismes endommagés son métier : « Je travaillais avec un ordinateur et un téléphone mais je passais la plupart de mon temps libre à retaper des motos, des radios, des accordéons… Un jour, je suis tombé sur un documentaire consacré au métier d’horloger, ça a fait tilt. », se souvient-il. Après une formation de trois ans à l’école d’horlogerie de Pforzheim, il s’installe d’abord à Bâle, en Suisse, pour peaufiner son expérience et nouer des contacts précieux, puis s’implante définitivement dans la région de Montbéliard, par amour.
Quand la mécanique commence à remarcher, c’est magique !
Martin Zupan, Artisan horloger
« Ça c’est une horloge comtoise que je viens de restaurer, là, une pendule du 18e siècle qu’un client m’a confiée. », nous montre Martin. L’horloger incarne la patience et la minutie indispensables à son métier : « On ne se rend pas compte à quel point les mécanismes sont petits. Il faut du temps et de l’expérience pour que l’oeil et les mains s’habituent. », explique-t-il. Chaque jour, il se plonge avec passion dans l’univers des rouages et des aiguilles, ressuscitant des trésors d’antan. Tel un chirurgien, Martin diagnostique, opère, remonte, huile et refermé le tout : « Quand la mécanique commence à remarcher, c’est magique ! » Et il lui faut parfois arpenter les brocantes, marchés et horlogeries pour dénicher des pièces rares, nécessaires à la restauration d’objets qui semblaient voués à l’oubli.
Désireux de partager son savoir-faire et de transmettre son amour pour l’horlogerie traditionnelle, le magicien du temps ouvre son atelier au public une fois par mois. « Cela me permet de rencontrer de futurs clients mais aussi de briser la solitude du métier. » C’est surtout la garantie d’un échange passionnant où l’on ne demande qu’à arrêter le temps.
Suivre le fil de l’histoire à Étupes
L’industrialisation du Pays de Montbéliard qui s’amorce au début du 19e siècle a aussi vu le développement d’ateliers de filatures et de tissages. La Manufacture Métis s’inscrit dans cette lignée, avec une volonté affirmée de perpétuer les savoir-faire ancestraux. À sa tête, Cédric Plumey, passionné de tissus, qui, après un passage à Paris, est revenu sur ses terres natales pour tisser le fil de son histoire entrepreneuriale.
L’aventure débute en 2014. Diplômé d’un master de gestion, Cédric travaille deux années durant chez Vuitton, mais le jeune homme ne se voit pas rester à Paris et décide de changer d’horizon : « J’ai toujours été intéressé par les vêtements et les matières qui les composent. Je me suis documenté sur les techniques de tissage et j’ai fini par me dire : « pourquoi ne pas monter mon atelier ? » », raconte-t-il. Sans formation particulière mais avec une envie débordante, Cédric commence son apprentissage théorique en se plongeant dans des livres anciens. Il rencontre des professionnels du métier et passe des mois à se familiariser avec la mécanique du tissage.
Je privilégie les tissus métis fabriqués à partir de fibres de natures différentes.
CÉdric Plumey, TISSERAND
Il a fallu quatre années pour que le rêve de Cédric devienne réalité. Quatre années durant lesquelles Cédric a parcouru le monde pour acheter, démonter, remonter et adapter des machines à tisser Jacquard, des bobinoirs, un ourdissoir et d’autres machines dont l’origine remonte au début du 20e siècle. « La prise en main des machines a été difficile, c’est ce qui a pris le plus de temps. Il a fallu beaucoup de persévérance pour les maîtriser sans se décourager. », se souvient-il. Ces impressionnantes machines, qui se dressent devant nous, exigent une précision et une attention méticuleuse, depuis le choix des fils jusqu’à l’étoffe. Car il est nécessaire d’installer tous les fils à la main, dans le bon ordre, pour obtenir un motif précis.
Audacieux et créatif, Cédric a fait le choix de développer des tissus à partir d’une sélection de fibres naturelles dont font partie les cotons, les lins, les chanvres, les laines et les soies : « Je privilégie les tissus métis fabriqués à partir de fibres de natures différentes. », détaille le tisserand. L’une des plus belles réussites de la Manufacture Métis est sans conteste la réhabilitation de la Verquelure, tissu traditionnel du Pays de Montbéliard dont la fabrication remonte au Moyen-Âge. Cultivée puis filée au fuseau dans les villages du Pays de Montbéliard, la Verquelure était ensuite tissée artisanalement sous la forme d’une toile simple (pour couvrir oreillers, traversins et édredons) ou d’un damassé (nappes, serviettes). Elle présente toujours un dessin classique formé de carreaux en deux ou trois couleurs. Sollicité par l’Office de tourisme du Pays de Montbéliard, Cédric a réussi à reproduire fidèlement ces motifs qui séduisent aussi bien les nostalgiques que les créateurs contemporains : « Ces tissus racontent une histoire. De manière générale, j’aime m’inspirer des tissus anciens dans mon travail. » Un savoir-faire unique à découvrir lors de visites organisées par Cédric deux à trois fois par mois.
Une épopée industrielle et culturelle à Sochaux
Nous avons maintenant rendez-vous avec 210 ans d’histoire, celle d’une famille, d’hommes et de femmes, qui ont façonné un territoire, l’image d’une marque, au lion rugissant, qui part à la conquête du monde : Peugeot. À proximité de l’emblématique usine où sont nées des générations de voitures mythiques (et bien plus encore !), se dresse le Musée de l’Aventure Peugeot, un lieu dédié à la célébration de plus de deux siècles d’innovation et de savoir-faire. Et quoi de mieux qu’un ancien salarié de l’entreprise pour nous faire la visite ?
Trente-sept ans, c’est le temps que Denis Pechin a passé chez Peugeot. « J’ai pris quelques notes mais je connais cette entreprise presque comme ma poche ! », nous confie l’ancien ingénieur au début de la visite. L’histoire de Peugeot commence en 1810, bien avant l’ère de l’automobile, lorsque Jean-Pierre et Jean-Frédéric Peugeot transforment le moulin familial en aciérie et fondent la société Peugeot Frères Aînés. Rapidement, la marque acquiert une renommée internationale, diversifiant sa production pour inclure des outils, des appareils ménagers, « et même des moulins à café ! », avant de s’aventurer dans la fabrication de bicyclettes à la fin du 19e siècle. La première voiture Peugeot, la Peugeot Type 1 dotée d’un moteur à vapeur Serpollet, est présentée à l’Exposition universelle de Paris en 1889. Peugeot développera quelques années plus tard ses propres moteurs à essence, marquant le début d’une longue histoire d’innovation et de succès.
Ici, tout le monde a un membre de sa famille qui a travaillé à l’usine Peugeot. Il y a tant d’histoires à partager.
DENIS PECHIN, ANCIEN SALARIÉ DE PEUGEOT
Dès le début du 20e siècle, l’usine Peugeot de Sochaux devient un fleuron de la production automobile. Stratégiquement situé à proximité de Montbéliard, ce site s’impose comme l’un des plus grands complexes industriels en France. « Ici, tout le monde a un membre de sa famille qui a travaillé à l’usine Peugeot. Il y a tant d’histoires à partager. », raconte Denis. Cet attachement profond des Francs-Comtois, et plus largement des Français, à la saga Peugeot, a conduit Pierre Peugeot, alors président du conseil de surveillance du Groupe PSA Peugeot Citroën, à fonder l’association « L’Aventure Peugeot ». Inauguré en 1988, le musée dédié rassemble des éléments précieux du patrimoine de la marque, des pièces, des documents, et une collection de plus de 450 véhicules de collection historiques dont 130 sont exposées. Le musée dispose aussi d’un important atelier de restauration automobile au service des passionnés.
Au fil de la visite, Denis partage de nombreuses anecdotes sur l’histoire de la marque : « Vous pourriez presque me demander ce que Peugeot n’a pas fait ! », plaisante-t-il. Le choix du lion comme logo ? Adopté dès 1847, il fait référence aux qualités des lames de scie Peugeot : rapidité, souplesse et mordant. Quant à la numérotation des voitures ? « Le premier chiffre représente la taille de la voiture, le dernier chiffre la génération, et le zéro central sert de liaison entre les deux. », explique Denis. Le retraité honore aujourd’hui la marque au lion au sein de son club de voitures anciennes, les Vieux Volants, dont il est le vice-président. « Il paraît que mes trois premiers mots ont été : maman, papa et toto. », plaisante-t-il encore. Après la visite du musée, Denis embarque régulièrement des touristes dans l’une de ses voitures de collection pour admirer le Pays de Montbéliard jusqu’au sommet du mont Bart, au sud-ouest de la ville. Pour nous, ce sera une DS des années 50. Une expérience inoubliable en excellente compagnie !
L’excellence de la production française à Fesche-le-Châtel
Nous avons rendez-vous avec une autre épopée industrielle : CRISTEL. Comment, là encore, résumer en quelques lignes, l’incroyable histoire de cette entreprise qui incarne, à elle seule, l’excellence de la production française ? La personne qui en parle mieux est certainement Bernadette Dodane, qui, avec son mari Paul Dodane, ont repris et redressé l’entreprise en 1984. « Cristel, c’est avant tout une aventure humaine. », résume simplement Bernadette à notre arrivée.
L’histoire commence en 1806. Frédéric Japy a 56 ans et est en train de fonder un empire industriel. En quelques décennies, il révolutionne la production horlogère, invente des machines et dépose des brevets, tout en multipliant les ateliers dans toute la région. Lorsqu’il s’éteint en 1812, l’entreprise appartient à ses trois fils qui, à leur tour, déploient les activités et construisent d’autres usines. Japy Frères édifiera en 1826 les ateliers de Fesches-le-Châtel, au bord de la Feschotte, où fut emboutie la première casserole de l’Histoire en fer-blanc. Après des décennies de succès, l’entreprise JAPY subit une série d’erreurs stratégiques et les conséquences de trois guerres, entraînant son déclin. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur la volonté et la persévérance de Bernadette, Paul et d’anciens salariés de l’entreprise. La flamme est ravivée, un nouveau nom est trouvé, ce sera CRISTEL, une fusion de Cristal et Châtel. « Pour construire l’avenir, il faut savoir d’où l’on vient. », résume à nouveau Bernadette.
Le couple comprend rapidement que l’avenir de l’entreprise repose sur l’innovation et la qualité irréprochable des produits. « On s’estime beaucoup. On ne prend pas de décision sans en discuter ensemble. Lui est créatif, moi plus pragmatique, nous sommes très complémentaires. », explique Bernadette. Avec une audace digne des plus grands inventeurs, Paul révolutionne le monde culinaire avec son concept de cuisson-service, une poignée amovible qui donne un nouveau visage aux batteries de cuisine. C’est un succès ! La marque, désormais dotée de cette identité unique, conquiert rapidement le cœur des chefs et des amateurs de cuisine.
Cette entreprise porte encore tellement de valeurs, ne plus en faire partie nous manquerait. Nous sommes des grands-parents fondateurs heureux !
Bernadette dodane, PRÉSIDENTE DE CRISTEL
Chaque pièce Cristel est le résultat d’un savoir-faire minutieux et d’une attention aux détails. Les ustensiles sont fabriqués en acier inoxydable de haute qualité, garantissant durabilité et performance. Le design élégant et épuré, souvent récompensé, allie parfaitement fonctionnalité et esthétisme. En 1991, Cristel devient la première marque à proposer des ustensiles de cuisson inox compatibles avec l’induction, ouvrant la voie au marché international : « En l’espace d’une décennie, CRISTEL est devenue leader sur le marché hexagonal tout en se déployant à l’international. Nos produits sont présents dans les rayons des grands magasins à Paris, Tokyo, Moscou, New-York ou encore Londres. », explique fièrement Bernadette.
Mais produire des casseroles ne suffit pas. La marque vise à « cuisiner un monde meilleur » avec un engagement écologique et social exemplaire. Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) et Origine France Garantie (à 92 %), CRISTEL est une entreprise à mission qui reste en avance sur son temps. Aujourd’hui dirigée par Emmanuel Brugger et Damien Dodane, rejoints depuis peu par la troisième génération, Julien, Antoine et Léo, la marque poursuit son développement en France et à l’international, avec toujours l’excellence et l’innovation au cœur de ses valeurs. Paul et Paul et Bernadette Dodane, co-présidents de la SAS, continuent d’exercer leurs rôles respectifs : lui reste le concepteur qu’il a toujours été, et elle demeure, avec une foi intacte, la meilleure ambassadrice de la marque. « Cette entreprise porte encore tellement de valeurs, ne plus en faire partie nous manquerait. Nous sommes des grands-parents fondateurs heureux ! », conclut Bernadette.
De l’atelier d’horlogerie à l’entreprise Cristel, en passant par le musée l’Aventure Peugeot et la manufacture Metis, sans oublier les 21 autres membres, la Route des Savoir-Faire se révèle à travers les femmes et les hommes qui ont fait de leur métier, leur passion, leur fierté. Elle est une opportunité unique de découvrir l’histoire industrielle, agricole et gastronomique du Pays de Montbéliard, pays des savoir-faire, où tradition et modernité se mêlent harmonieusement.
Pour en savoir plus
Où manger ?
- La Brasserie du 7ème Art : à Audincourt, le chef Maître Restaurateur et son équipe proposent une carte faite maison des entrées aux desserts en privilégiant les producteurs locaux.
- Le Châtel : à Montbéliard, une cuisine traditionnelle élaborée à base de produits frais du marché privilégiant les bons producteurs et artisans locaux au service d’une carte réduite.
- Au Tipi : à Étupes, un restaurant insolite et éphémère sous un grand tipi entouré d’animaux de la ferme. Un lieu idéal pour partager une bonne fondue dans un cadre convivial.
- La table Comtoise : à Étupes, un restaurant dans un ancien corps de ferme rénové qui propose une cuisine du terroir : fondue comtoise au savagnin, boite chaude, une brochette de boeuf du Limousin ou encore une croute forestière aux morilles.
Où dormir ?
- La Maison de Juliette : à Valentigney, une belle maison bourgeoise du début du 20e siècle entourée d’un jardin avec des arbres centenaires. La maison d’hôtes dispose de trois chambres décorées avec soin par les propriétaires du lieu.
Comment venir ?
- En train : le Pays de Montbéliard est largement desservie par le réseau ferroviaire avec la gare TGV de Belfort-Montbéliard et les nombreuses gares TER dont celle de Montbéliard (centre-ville). Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site SNCF et/ou Mobigo.
- À vélo : le Pays de Montbéliard est un vrai paradis pour les cyclistes. Son réseau cyclable compte plus de 160 km de pistes dont 90 km de voies vertes. Il est aussi traversé par l’Eurovélo 6 (Atlantique – Mer Noire). Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site France Vélo Tourisme.
- En voiture : le Pays de Montbéliard se situe à 160 km de Dijon et 430 km de Paris. En arrivant par l’autoroute A36, il suffit de prendre la sortie « Montbéliard centre ». Par l’autoroute A5, la sortie Langres puis la N19 via Vesoul sont conseillés. Pour planifier vos itinéraires, rendez-vous sur ViaMichelin ou Mappy.