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Du lait pour sauver le Trait Breton

À Briec-de-l’Odet, dans le Finistère, Olivier et Laura produisent du lait de jument qu’ils vendent cru ou transformé en cosmétiques. En France, on ne dénombre pas plus d’une vingtaine de fermes qui travaillent le lait équin et la Jumenterie de Cornouailles fait exception en Bretagne. Attaché à son terroir, le couple a choisi de travailler avec le cheval de Trait Breton, une race menacée d’extinction depuis la motorisation des fermes. Une manière de participer à la sauvegarde de la race tout en faisant redécouvrir les vertus oubliées du lait de jument.

La Jumenterie de Cornouailles c’est avant tout une histoire familiale. Celle de la passation de la ferme des parents d’Olivier, qui produisaient du lait de vache sur les 40 hectares du lieu. Laura travaillait dans les assurances, Olivier était ambulancier. Rien ne les prédestinait à devenir jumentiers. Ce sont les parents d’Olivier qui, en annonçant leur départ à la retraite, ont insufflé l’envie de faire perdurer la ferme : « S’il n’y avait pas eu la ferme familiale, je ne pense pas qu’on l’aurait fait. C’était vraiment histoire de continuer à faire vivre la ferme et de participer à la sauvegarde de ces chevaux là, faire une activité qui s’installe au mieux dans son paysage. »

L’idée de reprendre le troupeau de vaches laitières ne leur plaisait pas. Alors ils ont cherché, pensant au départ se lancer dans la production de thé. Puis vint l’envie de proposer un produit méconnu du grand public tout en travaillant avec un cheval bien de chez eux : le Trait Breton. Ils sont donc retournés à deux sur les bancs de l’école pour obtenir un diplôme agricole, un BP REA en vaches laitières, pendant que les parents d’Olivier préparaient le passage en bio de la ferme « c’était un gage de qualité, on tenait à s’engager dans cette démarche là ». Il a fallu faire preuve d’ingéniosité pour adapter le bâti aux équidés, sans modèles. « Il n’y a pas deux salles de traite pareilles », m’explique Olivier. La production est si rare qu’il est difficile de glaner des informations. Même constat pour acheter des trayons adaptés aux mamelles des juments « ça a été assez long à trouver », il n’en existe pas de spécifiques sur le marché.

Un lait aux vertus oubliées

Olivier m’emmène dans la salle de traite : une grande étable avec des stalles sur la droite et un enclos sur la gauche dans lequel parade Ouedic, l’un des deux étalons de la ferme. Les dix juments sont déjà sur les quais, leurs poulains à côté d’elles. Pendant qu’un jeune Trait Breton joue avec la chienne, Olivier m’explique que les juments doivent être traites avec leurs petits. Elles sont donc rentrées des pâtures deux heures plus tôt, le temps de laisser les mamelles gonfler, les poulains tout à côté mais sans accès au lait. Chaque jument donne environ deux litres de lait par jour, quand elle donne. « Si elles sont stressées, elles ne donnent pas leur lait » m’explique le couple pendant que Laura prépare la trayeuse. Patients, ils prennent le temps d’habituer les juments à ce travail. Ils peuvent attendre jusque trois ans avant qu’une femelle accepte d’offrir une partie de son lait. Je suis interloquée par les gants mis par Laura pour démarrer la traite, « comme ce n’est pas une production très connue, [les services vétérinaires] nous remettent une couche supplémentaire au niveau de la réglementation sur le lait pour qu’il soit niquel du début à la fin au niveau bactériologique ». Ça va vite, Laura passe avec son chariot vers chaque duo tandis que le pot à lait se remplit doucement. En trente minutes, la traite est terminée et le troupeau repart vers les champs.  

C’est le lait qui se rapproche le plus du lait maternel humain au niveau de la composition.

Olivier briand, Producteur de lait de jument

Pendant que Laura vide les stalles, Olivier part au laboratoire. Le lait est immédiatement surgelé à – 25 degrés pendant deux à trois heures, pour conserver ses vitamines et oligo-éléments, avant d’être lyophilisé ou transformé en cosmétiques sous la marque Demezell. S’il peut être consommé en remplacement du lait de vache en cuisine, son coût élevé, 20€ le litre, en fait un met rare plutôt utilisé en complément alimentaire. « C’est le lait qui se rapproche le plus du lait maternel humain au niveau de la composition. C’est dû au fait que la jument n’est pas ruminante, elle a un peu le même système intestinal que nous. Ce n’est pas gras, c’est très fluide, beaucoup plus digeste aussi. », me dit Olivier. Un produit au lactose plus facilement assimilable par l’organisme que les laits traditionnels, un lait albumineux (tout comme le lait humain) qui servait à la nutrition infantile dans les maternités jusque dans le milieu des années 1950. 

Il me tend un verre de lait. Il est sucré, au goût presque végétal, très doux, rafraîchissant en cette chaude journée d’août. « Il y a un intérêt à être bio et à avoir une alimentation de qualité parce que ça se ressent dans le lait », les juments sont uniquement nourries à l’herbe, au foin en hiver. Quelques céréales produites sur la ferme, comme l’orge, sont données en fin de traite comme récompense. Cet été 2022 c’est compliqué. Avec les sécheresses accumulées, il y a peu à pâturer. Pendant que nous cheminons vers les prés pour pousser les juments qui rechignent à remonter au pré, Laura me montre un champ : « Cette parcelle là, il n’y a pas un brin d’herbe c’est uniquement des adventices ». Le couple a déjà commencé à donner du foin aux équidés quand d’ordinaire en été, avec une rotation de pâturage chaque semaine, les chevaux sont autonomes en nourriture.

Préserver le Trait Breton

J’observe les équidés dans le pré. Qu’ils sont beaux avec leur robe alezane et leurs balzanes blanches. Dans les années 1970, avec la mécanisation des fermes, le Trait Breton a failli disparaître « c’est l’élevage pour la viande qui a sauvé ces races là ». Aujourd’hui, on leur trouve des débouchés dans les collectivités, pour nettoyer les plages par exemple. C’est en parti dû au « plan cheval » lancé par la région Bretagne en 2011 afin de préserver la filière trait.  En 2017, on dénombrait 12 000 chevaux de Trait Breton en France, c’est encore peu mais ce cheval retrouve peu à peu le coeur des bretons, attachés à leur terroir. Les poulains des deux jumentiers partent en loisir chez des particuliers ou pour de la traction animale dans les fermes, un retour en grâce du travail aux champs pour ce cheval robuste qui peut peser jusqu’à une tonne.

Au loin, j’aperçois des vaches, des Bretonne Pie Noir. Elles aussi, rustiques et originaires de la région, ont failli disparaître de nos paysages agricoles au profit de races aux rendements plus importants. Elles sont à la retraite me dit Laura et n’ont d’autre vocation que celle de finir de tondre les parcelles là où les chevaux sont passés : « Si on laissait uniquement les chevaux sans entretien des pâtures, il y aurait beaucoup de mauvaises herbes dans ces zones ». 

Nous redescendons dans le corps de ferme et ma visite se termine par une discussion sur la transmission des us et coutumes bretonnes, que les jumentiers espèrent insuffler à leurs enfants. « On voulait s’inscrire dans notre territoire. », m’ont dit Laura et Olivier au début de notre entretien. Pari réussi pour ce couple breton qui contribue à faire découvrir un produit encore méconnu en France tout en veillant à préserver les paysages agricoles et les races animales endémiques de leur Finistère natal.

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