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Hortillons par passion

Au coeur d’Amiens, 300 hectares de verdure entrecoupés de 65 kilomètres de canaux forment une quantité infinie de micro parcelles en plein coeur de la capitale picarde. Sculptés par l’homme dès le 12e siècle, les hortillonnages d’Amiens étaient historiquement dédiés au maraîchage et à l’alimentation de la ville. Aujourd’hui, ils se visitent en barque du printemps à l’automne. On y découvre alors de petites maisons parfois jouxtées d’un potager. Terres fragiles, les hortillonnages ne sont pas habitables à temps plein et sont majoritairement aujourd’hui des terrains de plaisance. Reportage.

Ce matin de février, c’est à pied que je décide de les explorer, les longeant de la ville par leur partie extérieure. Au détour d’une d’une rue bordée de petites maisons de briques ouvrières – les amiénoises – je tombe sur Daniel, perché sur son petit tracteur rose, en train de labourer un champ de navets. Au trois bouts de ce champ : des canaux s’entrecroisent.

Ils ne sont plus qu’une petite dizaine à maintenir l’activité maraîchère sur ces terres. On les appelle les « hortillons ». Daniel est l’un des six membres de la famille Parmentier à résister encore et toujours. Avec son frère Francis, autre membre du clan Parmentier, ils se battent pour préserver un savoir-faire menacé de disparaître.

On ne peut pas ramener des gros camions à 150 chevaux ou planter 40 à 50 000 poireaux à l’heure avec des machines à 4 ou 5 rangs. On reste manuels, toujours courbés, les poireaux on les plante à la main

Francis Parmentier, hortillon

Parce que, oui, cultiver la terre ici a quelque chose de différent. Pas de grandes étendues, les terrains exploités, qui ne dépassent jamais 3 hectares toutes parcelles cumulées, sont séparés par différents canaux et autres voies d’eau, le sol est meuble et argileux. Impossible donc d’utiliser de gros engins agricoles. L’agriculture qui s’y pratique est par essence manuelle et raisonnée : « On ne peut pas ramener des gros camions à 150 chevaux ou planter 40 à 50 000 poireaux à l’heure avec des machines à 4 ou 5 rangs. On reste manuels, toujours courbés, les poireaux on les plante à la main. », explique Francis, le ton véhément, transporté par l’amour et les difficultés de la vie d’hortillon dont il se fait le porte-parole. Une profession que les deux frères ont dans le sang : « On est hortillons depuis trois générations, on sait comment travailler. », ajoute-t-il.

Sur ces petites exploitations maraîchères, la variété des cultures prime sur la quantité. Et si les parcelles de David sont toutes reliées et accessibles depuis la ville, Francis doit circuler entre les siennes à bord d’une barge sur laquelle il charge récoltes, outils et microtracteurs d’un champ à l’autre. Lui transmet son exploitation à sa fille Perrine mais Daniel ne sait pas si quelqu’un reprendra un jour son flambeau. En partenariat avec la maison familiale rurale, il accueille et forme des stagiaires chaque année. Parmi lesquels Baptiste, 28 ans, troisième larron de notre étonnante scène d’agriculture urbaine. Le sourire émerveillé et le ton jovial, Baptiste explique son engouement pour le métier tout en ramassant les dernières blettes.

Mais reprendre une exploitation n’est pas chose facile. Comme partout, l’activité n’est pas rentable assez rapidement. Et puis, il faut être bon sur tous les tableaux : « Faut avoir du bagout aussi, si vous êtes couillon, vous passez pas. », rigole Daniel avec un clin d’oeil appuyé avant de se reprendre – « non mais sérieusement… » – et d’expliquer les subtilités d’un système de distribution cette fois malheureusement classique où il faut savoir faire sa place auprès des grands distributeurs.

Cultiver ces terres, c’est aussi les entretenir et perpétuer ce site exceptionnel, inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Car sans entretien régulier, les berges sont rapidement rongées par l’eau et les parcelles se délitent. Au bout du champ de Daniel, José est perché sur une étonnante grue flottante dont les multiples bras s’agitent pour trouver un équilibre et curer le rieux (canal de moyen format) en profondeur afin de prévenir l’éventuelle montée des eaux ou les inondations qui menacent à chaque grosse intempérie. La vase extraite du rieux est utilisée pour consolider les berges et servir d’engrais aux cultures.

C’est le père de José, artisan soudeur, qui a conçu cette grue sur mesure pour les hortillonnages. En 1975, des habitants opposés à un projet de construction d’une rocade sur les hortillonnages fondent l’association pour la protection et la sauvegarde des hortillonnages. Aujourd’hui celle-ci finance une partie de l’entretien des berges avec les recettes des activités touristiques qu’elle organise en parallèle. Au centre des hortillonnages, dans la partie la plus visitée et la plus proche du centre-ville, les parcelles sont entretenues, les berges nettes, les maisonnettes cossues.

Les hortillonnages sans hortillons, ce n’est plus les hortillonnages

Francis Parmentier, Hortillon

À bord de la barque de Pascal Goujon, dit Paco, je découvre encore une autre partie des hortillonnages, plus sauvage où la végétation dense et envahissante se mêle aux chemins d’eau que traverse la barque. Cet homme, tombé amoureux de l’endroit il y a une vingtaine d’années, développe une activité agricole et touristique qu’il souhaite plus durable et respectueuse de l’environnement. Il exploite une parcelle dans cette partie plus sauvage, y promène les touristes et cherche à relancer la culture maraîchère en installant de nouveaux hortillons. Et dans cet environnement moins fréquenté, plus primitif se dessine l’enjeu du maintien d’une activité agricole et humaine dans un espace dont l’existence est intrinsèquement liée à celle-ci. Car comme le résume très justement Francis Parmentier : « Les hortillonnages sans hortillons, ce n’est plus les hortillonnages… ».

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