Il faut passer les grilles de Château de Géraudot, à proximité des grands lacs de la Forêt d’Orient, dans l’Aube, pour découvrir l’atelier de dorure d’Uwe Schaefer. Cet artisan, d’origine allemande, passionné par le patrimoine, manipule une matière qui suscite la fascination depuis la nuit des temps : l’or. De la restauration à la création d’oeuvres contemporaines, Uwe met ses compétences au service d’un savoir-faire ancestral qu’il s’évertue à transmettre.
Je termine mon itinérance à vélo dans l’Aube en longeant les grands lacs de la Forêt d’Orient que j’avais déjà côtoyés en rendant visite à Grégory, au Moulin de Dosches. La dernière étape m’amène au Château de Géraudot, une ancienne demeure seigneuriale du 18e siècle. Je suis accueilli à bras ouverts par Florence et Uwe, les propriétaires des lieux. Situé en face du lac d’Orient et doté d’un joli parc boisé de 3,5 hectares, le château inspire sérénité et quiétude, à l’image du couple. C’est dans ce bâtiment historique qu’Uwe a installé depuis quelques années son atelier de dorure qui porte son nom : l’Atelier Schaefer.
Mon épouse m’a présenté quelqu’un en sachant pertinemment que son métier allait me plaire, ça n’a pas loupé !
Uwe Schaefer, artisan doreur
Né en Allemagne, dans l’ex-RDA, Uwe franchit le mur de Berlin quelques jours avant sa chute. Là-bas, il rencontre celle qui deviendra sa femme, Florence, qui l’amène en France et lui présente un artisan doreur : « Mon épouse, qui était encore une amie à l’époque, m’a présenté quelqu’un en sachant pertinemment que son métier allait me plaire, ça n’a pas loupé ! », se souvient Uwe. Il avoue avoir toujours été attiré par le patrimoine mais a d’abord choisi la géologie en Allemagne avant de se reconvertir dans ce métier d’art. Après une formation à Paris dans l’atelier de son « maître » Jean Alot, au début des années 1990, Uwe s’installe à Reims et ouvre son propre atelier de dorure en 1993.
Quelques années plus tard, Florence et Uwe ont l’opportunité d’acquérir un château à restaurer, au coeur du Parc Naturel Régional de la Forêt d’Orient : le Château de Géraudot. Un rêve de gosse qui dévient réalité pour Uwe : « Dans ma tête c’était clair qu’un jour j’habiterai un château », explique-t-il modestement sans savoir exactement l’origine de cette envie. Il déménage alors son atelier dans une aile du château qui l’inspire au quotidien pour son travail.
Un savoir-faire ancestral
La dorure est une technique connue depuis l’antiquité. « On retrouve des dorures avec des feuilles d’or sur certains sarcophages égyptiens. », raconte Uwe. Au fil des siècles, la technique se développe sur de nouveaux supports : cadres et sièges en bois, grilles ou encore plafonds : « L’or a toujours fasciné, encore aujourd’hui il est utilisé sur beaucoup de créations. », ajoute-t-il.
La pose des feuilles d’or ne constitue que la partie immergée de l’iceberg, il faut tout un travail de préparation en amont.
Uwe Schaefer, artisan doreur
Ce savoir-faire ancestral implique la maîtrise de nombreuses opérations. « La pose des feuilles d’or ne constitue que la partie immergée de l’iceberg, il faut tout un travail de préparation en amont. » Voici quelques étapes primordiales pour la dorure à la feuille sur un support en bois :
- L’apprêt : Composé d’un mélange de craie et de colle de peau de lapin, l’apprêt sert à reboucher les imperfections du support et à lisser la surface poreuse du bois.
- La reparure : Empâtés par ces épaisseurs de blanc, les éléments sculptés sont ensuite remodelés, ciselés et gravés à l’aide des fers à reparer.
- L’assiette : Les parties destinées à recevoir la feuille d’or sont ensuite enduites d’une préparation dense et lisse à base d’argile appelée « assiette ».
- La pose de la feuille d’or : Les feuilles sont extrêmement fragiles, leur épaisseur variant entre 0.1 et 0.8 microns. On prélève la feuilles grâce à la palette à dorer et on la dépose sur le coussin à dorer. Puis on mouille la surface à dorer avec de l’eau claire et fraîche à l’aide d’un pinceau. La feuille d’or est coupée sur le coussin aux dimensions voulues puis déposée sur l’oeuvre.
Paradoxalement, l’outillage est relativement restreint « les outils ne sont que le prolongement des doigts », explique Uwe. En plus de la maîtrise de ses doigts, la maitrise du souffle est aussi une qualité nécessaire au doreur. Il faut en effet que la feuille d’or tombe parfaitement sur le coussin à dorer afin qu’elle puisse être découpée puis apposée sur le support souhaité.
De la restauration à la création
La passion d’Uwe pour la restauration et la création de dorure à la feuille s’est nourrie de la pratique du métier depuis plus de 30 ans, mais aussi de la diversité d’objets pris en charge par l’atelier. Ce qui guide sa démarche pluridisciplinaire ? La volonté de restituer la beauté d’une oeuvre ou de sublimer celle-ci.
Lorsque l’on échange avec Uwe, on ressent sa passion et son attachement profond à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine. Habilité par la Direction des Musées de France, l’atelier intervient en restauration sur des objets mobiliers et immobiliers en bois doré au sein de nombreux musées et édifices religieux à travers toute la France. « Nous répondons à de nombreux appels d’offre. L‘administratif est aussi une part importante de notre travail », explique Uwe.
C’est un métier technique mais qui demande aussi une forme de créativité.
Uwe Schaefer, artisan doreur
La création n’est pas en reste. L’atelier imagine des décors contemporains à la feuille d’or pour des grilles, des toitures ou même des bouteilles de champagne : « C’est un métier technique mais qui demande aussi une forme de créativité. Nous avons des demandes originales auxquelles nous prenons plaisir à répondre. »
La transmission est également au coeur de la démarche d’Uwe, à commencer par ses enfants dont deux travaillent désormais à ses côtés : « Il y a un vrai engouement des jeunes pour les métiers d’art. » Il n’hésite également pas à partager son savoir-faire aux hôtes de passage. Au Château de Géraudot, le silence est d’or, le geste aussi.