Il y a de ces villages alsaciens où l’on ne fait rien comme les autres. Des villages aux airs d’ailleurs, qui nous font voyager. Celui d’Uhrwiller en fait incontestablement partie. Ici, l’agriculture rime avec créativité et modernité. À l’approche de ce joli bourg, en lisière de forêt, on peut apercevoir de drôles de bêtes. Un parfum d’Italie semble alors s’échapper de ces sous-bois. Des vaches avec des cornes ? Non. Des buffles, et plus précisément, des bufflonnes. Rencontre avec la famille Christmann qui a osé faire découvrir la terre alsacienne à ces figures italiennes.
Produire de la mozzarella au lait de bufflonne au beau milieu de l’Alsace. C’est le pari audacieux de Sophie et Mickaël Christmann en 2018. Quatre ans plus tard, le couple alsacien est désormais à la tête d’un cheptel d’une trentaine de bufflonnes et d’une production de fromages 100% made in Alsace. Un défi relevé avec succès donc, mais qui n’a pas été sans difficultés.
Nous cherchions à développer une activité originale qui ne concurrence pas les autres producteurs du coin, nous avons donc opté pour les bufflonnes
Mickaël Christmann, Éleveur de bufflonnes
Il a d’abord fallu acclimater les bufflonnes à la région Grand Est. Puis, maitriser un savoir-faire singulier pour produire les premières boules de mozzarella alsaciennes, dignes de ses collègues italiennes. Car c’est bien là tout l’enjeu. Ce projet, d’apparence cocasse, est en réalité le signe d’un grand courage de la part de ce couple. « Nous cherchions à développer une activité originale qui ne concurrence pas les autres producteurs du coin, nous avons donc opté pour les bufflonnes », explique Mickaël. La ferme est aujourd’hui un bel ambassadeur de la mozzarella traditionnelle.
Un couple animé par la passion du métier
Éleveurs par passion, portant la nature et ses enseignements au coeur de leurs préoccupations, Sophie et Mickaël élèvent un troupeau à taille humaine. Sur place, on ressent une intime connexion entre le couple d’éleveurs et les bufflonnes qui occupent l’essentiel de leur temps.
C’est un métier où l’on se lève tôt. Il faut respecter les traites entre le matin et le soir. Il n’y a, pour ainsi dire, pas de pause, pas de temps mort
Mickaël Christmann, Éleveur de bufflonnes
Avec leurs bufflonnes, Mickaël et Sophie ont le souci du détail, du bon geste, qui, s’il n’est pas maîtrisé, pourrait remettre en question la qualité du lait. Leurs mains symbolisent la richesse de leur travail. « C’est un métier où l’on se lève tôt. Il faut respecter les traites entre le matin et le soir. Il n’y a, pour ainsi dire, pas de pause, pas de temps mort », résume Mickaël. Animés par leur métier, le couple sublime un savoir-faire venu d’ailleurs et qui fait aujourd’hui la fierté de la région.
Les bufflonnes, de mystérieux bovins
Il y a encore quelques années, il était difficile d’imaginer des bufflonnes brouter paisiblement l’herbe alsacienne. Ces bestiaux originaires d’Inde, dont on ne sait pas avec certitude comment ils ont débarqué en Italie, avaient déjà suscité la fascination du romancier Goethe au 18ème siècle. « Ces bovins mystérieux qui bougent, imposants dans les eaux immobiles. Ils sont là comme des hippopotames avec leurs yeux rouges et sauvages », écrivait-il ainsi.
Robe noire, silhouette massive, oeil brillant, cornes immenses: les bufflonnes en imposent. D’abord utilisées comme animaux de trait, elles produisent aujourd’hui un lait précieux, d’un raffinement sans égal. « Ces vaches noires au caractère de cheval », comme les qualifie Mickaël, passent à la traite deux fois par jour. Elles demandent donc une attention quotidienne afin de s’assurer de leur bien-être et par conséquent de la qualité de leur lait.
En comparaison avec une vache laitière, la bufflonne produit une quantité de lait plus faible, environ 8 litres par jour. Le lait est néanmoins plus protéiné, plus riche en fer et en calcium mais aussi plus gras, ce qui lui procure cette onctuosité.
La singularité de ce lait permet à Sophie et Mickaël de développer une très large gamme de produits : tomme, yaourt, faisselle, mozzarella, brie… et même de la glace. Guidée par leur insatiable curiosité, la famille explore toutes les subtilités de cet or blanc et n’a de cesse d’expérimenter. Ils s’inscrivent dans une démarche créative en proposant des produits non conventionnels, comme une glace stracciatella, qui n’a pas à rougir face à ses concurrents italiens !
La Mozzarella, chasse gardée des italiens ?
Traditionnellement, la mozzarella est produite en Italie, dans la région de Campanie, et particulièrement dans les provinces de Caserte et de Salerne, dans le sud de Rome. D’où son appellation d’origine protégée (AOP) « Di bufala Campana » . Cette AOP garantit un mode de production selon une méthode traditionnelle, mondialement reconnue.
À l’instar de leur modèle italien, la mozzarella (di Alsacia) de Sophie et Mickaël est produite selon la méthode traditionnelle italienne, uniquement à partir du lait de leurs bufflonnes. Le lait de la traite est d’abord ensemencé pour s’acidifier, puis solidifié avec un coagulant à base d’algues, avant d’être coupé en petits morceaux à l’issue du caillage. Une opération que l’on appelle la « mozzatura », et d’où ce fromage tire son nom. Puis vient l’étape du filage qui consiste à travailler la pâte pour obtenir cette texture fibreuse si caractéristique. La taille des fromages est variable, allant de la noisette de 10 grammes à la boule d’un kilogramme.
Pour arriver à un produit de qualité, le couple a tout appris de l’animal, des techniques de fabrication, de la traite, des propriétés du lait ou encore du commerce. Dans cette quête d’excellence et force de patience et d’exigence, le mozzarella du Domaine des Bufflonnes a gagné l’année dernière la médaille d’argent de la meilleure mozzarella de France devant plusieurs concurrents d’origine italienne. Une distinction qui vient récompenser un projet agricole atypique et le travail d’un couple porté par un désir profond d’authenticité. Sophie et Michaël Christmann ont désormais une route toute tracée pour continuer de faire vivre leur terre alsacienne au rythme des bufflonnes.