Poutine, Côte d’Azur et traditions

Sur les plages de la Baie des Anges, le printemps est synonyme de pêche rare et pittoresque. Une tradition qui attire chaque année des curieux et passionnés aux aurores sur les galets, pour observer la pêche à la poutine.

Il est 6h00 du matin quand j’arrive sur le port du Cros-de-Cagnes, près de Nice, où une douce effluve iodée remplit mes narines. Le printemps semble bel et bien de retour en ce samedi de mi-avril, et le soleil pointe lentement le bout de son nez pour laisser deviner les reliefs à l’horizon. La mer face à moi, les montagnes dans mon dos et la douceur du climat m’interrogent une nouvelle fois sur les raisons qui m’ont poussée à partir vivre plus au nord. Le bord de mer est désert, seuls quelques courageux trottent pour se maintenir en forme. Je suis leur regard qui se porte sur les galets, en direction d’un petit groupe d’hommes en cirés colorés qui semblent affairés. C’est justement eux que je cherchais. 

Chaque année quand vient le début du printemps, cette fidèle équipe de pescadous (comprenez pêcheurs en provençal) aime se retrouver sur la plage, non pas pour barboter et entretenir leur bronzage (quoique), mais pour une affaire bien plus sérieuse. Parmi eux, Lucien, Philippe, Bernard, Gilbert, Flavien et d’autres, une dizaine de paires de bras venus ici pour donner un coup de main à Antoine, et pêcher la poutine pendant 45 jours. « La poutina » comme on l’entend dans les rues de Nice, n’est pas un poisson qui déclare la guerre à ses voisins, et ne doit pas être confondue avec les frites au fromage de nos cousins québécois. Sur la Côte d’Azur, elle est utilisée pour parler des alevins de sardines et de gobies que l’on pêche depuis de nombreux siècles au pays du pan bagnat et sur la Riviera italienne. 

La méthode est restée la même et se fait « à la senne de plage » par Antoine qui mène sa barque, ou plutôt son pointu, joliment baptisé « Biquette ». C’est depuis cette petite embarcation en bois bleu de moins de 8 mètres, qu’à l’aube il dépose le filet aux mailles très serrées. Et la poutine n’attend pas, alors à l’aube, mieux vaut être frais comme un gardon ! Un trident tatoué sur la main droite, un loup de mer sur la gauche, le matelot dirige son pointu et lance la senne de façon à créer une poche et à encercler le poisson. Une technique largement encadrée par la commission européenne pour réguler les prises, et qui impose chaque année à Antoine et ses compères, le jour d’ouverture de la saison, mais aussi les dimensions du filet, aujourd’hui de 200 par 10 mètres. 

Sur la plage tout le monde est à son poste et attend le signal du capitaine pour commencer à ramener le filet. À la force des bras et à grands coups de « ho hisse », les plus jeunes comme les anciens tirent ensemble et en rythme. Le frottement de la corde sur les mains les font gonfler, rougir et les irrite. Malgré cela, après une bonne vingtaine de minutes et à mesure que le filet se rapproche, comme un signe d’impatience, les corps se dressent et les têtes se relèvent, dans l’espoir d’apercevoir le butin que la pêche leur réserve. Et puis soudain, la poche de la senne surgit des flots. Malheureusement aujourd’hui, la poutine se cache bien, et au moment de déplier le filet, c’est la déception qui se lit sur les visages. Seulement une poignée d’alevins translucides aux reflets argentés sont capturés. On en compte 50 grammes, loin des 50 kilos autorisés par bateau et par jour, et des 11 kilos pêchés la veille. Pas de chance. « Jamais un coup de dé n’abolira le hasard » Bernard cite Mallarmé et accepte avec le sourire le jeu de cette pêche à l’aveuglette. 

Les gars finissent par se donner une seconde chance : « peut-être qu’on aura meilleure fortune en jetant nos filets plus à l’est » lance l’un d’eux. Certains, plus sceptiques, finissent par se laisser convaincre et le ballet se répète une seconde fois, quelques mètres plus loin. Mais ce matin, les pêcheurs semblent condamnés au supplice de Tantale. Dans les mailles de la senne, pas de poutine mais deux dorades, deux liches et un pataclet. 

Aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus être pêcheurs, c’est un métier trop instable, trop physique et trop dépendant de la météo

Antoine, Pêcheur

Un peu bredouilles, tout le monde retourne sur le port et discute près du bateau. Malgré le renfort récent des contrôles de prises pour préserver les ressources, le nombre de pêcheurs dans la région ne cesse de diminuer et menace cette tradition. « Ça fait partie de nous, c’est comme si c’était dans notre ADN ». Attaché à son identité, Antoine craint de voir disparaître cette pêche ancestrale qu’il pratique depuis l’âge de 16 ans. « Aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus être pêcheurs, c’est un métier trop instable, trop physique et trop dépendant de la météo » les dires des pescadous se confirment, puisqu’à Nice, les pêcheurs professionnels se comptent sur les doigts d’une main. Pourtant l’entraide, la convivialité et la bonne humeur qui régnaient sur la plage ce jour-là me laisseraient croire le contraire. Au moment de se quitter, Antoine donne rendez-vous à ses fidèles camarades le mardi et compte bien sur leur présence. Il sait que sans eux, la pêche ne serait pas possible. 

Ma balade prend fin tout près de là où j’ai quitté ces grands gaillards. Sur le port, une petite halle au poisson a déplié l’étal de pêche locale. Les jours de chance, la poutine y est vendue directement aux particuliers et aux professionnels qui se l’arrachent. Et mieux vaut arriver tôt ! Car la poutine ne se conserve pas, et le prix d’or qu’affiche le caviar du Comté de Nice n’est pas prêt de faire reculer les aficionados. D’une année sur l’autre et selon l’abondance de la pêche, les prix varient mais avoisinent souvent la centaine d’euros le kilo. En beignet, en omelette, en salade ou même cru avec un peu de jus de citron, la poutine fait le bonheur de nombreux azuréens attachés à leurs traditions.

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