C’est à Troyes, la ville qui l’a vue naître, que Flavie Vincent-Petit fonde en 2012 la Manufacture Vincent-Petit, un atelier de restauration de vitraux et de création d’oeuvres contemporaines. Dans ce lieu hors du temps, Flavie reproduit à l’identique des gestes et techniques des siècles passés pour redonner vie aux ouvrages du patrimoine français. Un savoir-faire au croisement de nombreuses disciplines : histoire de l’art, chimie, mathématique ou encore théologie.
Avant de reprendre mon itinérance sur la voie verte des Grands Lacs Seine et Aube, je ne pouvais quitter la ville de Troyes sans évoquer un savoir-faire qui a traversé les époques : la peinture sur verre. Saviez-vous que le département de l’Aube, anciennement appelé Champagne méridionale, dispose de la plus grande concentration de vitraux au monde ? Il n’y a qu’à lever la tête et contempler les nombreux édifices religieux qui essaiment le territoire, de la majestueuse cathédrale de Troyes jusqu’à l’église d’Ervy-Le-Châtel où l’on peut observer la baie des Triomphes de Pétrarque.
Fille d’agriculteurs, la troyenne Flavie Vincent-Petit s’est prise de passion pour ce patrimoine d’exception. Flavie ne garde pourtant pas de très bons souvenirs de ses premiers stages en archéologie réalisés parallèlement à ses études universitaires à Paris : « Je n’aimais pas du tout faire des stages de fouille. Il fallait creuser toute la journée dans des tombes médiévales. J’en faisais des cauchemars la nuit, des squelettes surgissaient en disant « tu as violé ma sépulture ! » », se souvient-elle. De retour à Troyes, elle sollicite des tailleurs de pierre qui la réorientent vers le maître-verrier André Vinum. « Les verriers doivent bien accepter les filles », lui disent-ils.
Ce qui me plait vraiment dans le vitrail, c’est que c’est un métier manuel, intellectuel et spirituel au croisement de nombreuses disciplines.
Flavie Vincent-Petit, vitrailliste – MaÎTre-Verrier
Sa rencontre avec André Vinum fut décisive. Arrivée pour un stage de 5 semaines, Flavie restera finalement 18 ans après du maître-verrier troyen et son fils Alain Vinum. Ils lui apprendront les gestes et techniques de la peinture sur verre qui se transmettent depuis des siècles : « Alain avait le soucis de transmettre toutes ses archives mais ne voulait pas qu’il y ait une reprise d’atelier. La filiation était dans la transmission du savoir mais pas dans la transmission d’une société. », explique Flavie.
En 2012, elle fonde alors la Manufacture Vincent-Petit avec son mari. L’entreprise s’appuie aujourd’hui sur une équipe pluridisciplinaire d’une vingtaine de personnes composée de conservateurs-restaurateurs, d’ingénieurs, de techniciens et d’assistants. « Ce qui me plait vraiment dans le vitrail, c’est que c’est un métier manuel, intellectuel et spirituel au croisement de nombreuses disciplines. », résume Flavie.
L’art du vitrail
Le vitrail est une composition décorative formée de pièces de verre coloré. Le vitrail en tant qu’élément coloré et figuratif existait déjà à l’époque mérovingienne et carolingienne dans les édifices chrétiens. Il se développe essentiellement à partir du 12e avec la construction des nombreuses églises dans toute l’Europe. Le 14e siècle constitue un tournant important pour l’art du vitrail avec la découverte du « jaune d’argent » : on peut désormais ajouter la couleur jaune sur une même pièce sans la séparer par un plomb. Le jaune d’argent est utilisé pour colorer les chevelures, les bijoux, les couronnes ou encore les sceptres.
Voici les différentes étapes de réalisation d’un vitrail :
- La maquette : dessin préparatoire réalisé au dixième. Le graphisme et les couleurs y sont présents, mais pas le réseau de plomb.
- Le carton : dessin grandeur nature (agrandissement de la maquette) contenant le réseau de plomb.
- Le calibrage : découpage des gabarits en suivant le tracé des lignes de plomb, avec un ciseau à trois lames permettant de retirer l’épaisseur du plomb.
- La coupe des verres : après avoir choisi les couleurs des verres, le maître-verrier les découpe
- La peinture : vitrifiable et de plusieurs types (grisaille, jaune d’argent, émaux…), elle est appliquée sur le verre à l’aide de plusieurs pinceaux (blaireau, putois, trainard…) et peut être enlevée pour laisser apparaître certains motifs (grâce à des plumes, des aiguilles, des petits bois …). Les morceaux de verre peints sont cuits afin que la peinture se fixe.
- Le sertissage ou montage en plomb : les pièces de verre sont ensuite assemblées entre elles avec des baguettes de plomb. Malléables, ces baguettes permettent de suivre le contour des pièces de verre. Une soudure à l’étain est réalisée à chaque intersection des baguettes.
- Le masticage : afin d’assurer l’étanchéité du panneau, du mastic est appliqué de chaque côté du panneau. Celui-ci s’insère entre les ailes du plomb et le verre puis le panneau est nettoyé.
- La pose dans l’édifice : les panneaux sont mis en place dans une entaille pratiquée sur le pourtour intérieur d’une baie (feuillure). Un système de serrurerie permet de maintenir l’ensemble (barlotières).
le vitrail c’est faire de l’architecture avec de la lumière.
Flavie Vincent-Petit, vitrailliste – MaÎTre-Verrier
Un moine du 13e siècle définissait le vitrail comme « un médium qui transforme la lumière physique en lumière divine ». Le vitrail est donc vu comme un filtre qui modifie la lumière, qui va accompagner l’architecture pour créer un espace différent: « Dans une église, cela va par exemple créer l’espace du sacré. Finalement, le vitrail c’est faire de l’architecture avec de la lumière. », explique Flavie.
Restaurer pour sauver, créer pour prolonger
La Manufacture Vincent-Petit se consacre à la restauration du patrimoine vitrail ainsi qu’à la création d’œuvres contemporaines, le plus souvent intégrées dans des Monuments Historiques. Cinq pôles travaillent en synergie pour « documenter, observer, comprendre » – « restaurer, expérimenter, innover » – « concevoir, créer, poser » – « assembler, faire tenir, atteindre » – « protéger, conserver, transmettre ». Une véritable vision à 360° du patrimoine vitrail.
On apporte de la modernité à un métier d’art qui était jusqu’alors entièrement manuel.
Flavie Vincent-Petit, vitrailliste – MaÎTre-Verrier
À la Manufacture Vincent-Petit, la création et la restauration des vitraux sont le fruit d’un travail remarquable alliant techniques anciennes et techniques innovantes : « On apporte de la modernité à un métier d’art qui était jusqu’alors entièrement manuel. On croise tout ce qui est serrurerie, tout ce qui est numérique avec le geste du peintre, le geste de l’artiste et le geste du restaurateur. », raconte Flavie.
Parmi les restaurations singulières, Flavie se souvient de celle de l’église Saint-Martin-ès-Vignes à Troyes : « il y avait des petites cigognes dans les baies hautes qui font 5 millimètres dans des petits nids qui font 3 millimètres et les vitraux étaient à 20 mètres du sol. On a la joie de découvrir des détails ! ». Autre chantier d’envergure, celui de la restauration des vitraux de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. La Manufacture Vincent-Petit fait en effet partie des huit ateliers de maîtres-verriers et serruriers d’art retenus pour la restauration des vitraux de la cathédrale : « Ce qui est intéressant avec Notre-Dame, c’est l’aventure collective, de participer à cette grande reconstruction après le drame. »
La création n’est pas en reste et participe à la richesse du métier : « C’est très agréable d’avoir cet équilibre entre la création et la restauration. Dans la création, il y a cette tension, ce stress, il faut répondre à l’envie du commanditaire. Il faut beaucoup imaginer, beaucoup projeter ». Un équilibre qui permet à Flavie de s’inscrire dans la lignée des peintres sur verre avec toujours cette volonté de transmission en tête. « On est aussi là pour créer le patrimoine de demain, le vitrail est un art vraiment vivant ! » Son rêve ? Que la vitrail devienne une véritable discipline universitaire. « Le métier ce sont des gestes et des humains mais c’est aussi une visée, et il ne faut oublier la visée du beau. », conclut Flavie. Le décor est planté.