Dans le village de Gargas, situé au coeur du Luberon, trois bâtiments baignés par la lumière du soleil se distinguent parmi les reliefs. Entre les murs de cette ancienne usine d’ocre, (re)naissent aujourd’hui des œuvres d’art qui illuminent les lieux les plus prestigieux du monde. Depuis 2002, Mathieu Lustrerie a installé ses ateliers sur ce site chargé d’histoire où elle perpétue un savoir-faire unique en France.
Il faut prendre un peu de hauteur pour rejoindre la lustrerie Mathieu. En arrivant sur place, pas de contrôle de sécurité, ni de caméras à tout bout de champ, au contraire, des bâtiments ouverts qui laissent entrevoir des lustres majestueux. Une idée lumineuse du maître des lieux, Régis Mathieu, qui en quelques années a fait de Mathieu Lustrerie, la référence mondiale dès lors qu’il s’agit de restaurer, de rééditer et de créer des lustres d’exception.
De l’ombre à la lumière
De toute évidence, Régis Mathieu aime recevoir. C’est lui-même qui nous accueille à l’entrée du bâtiment principal. « Que connaissez-vous de Mathieu Lustrerie ? », nous demande-t-il, soulignant ainsi l’importance que revêt pour lui l’image de son entreprise. Les raisons de sa fierté sont nombreuses, car la lustrerie n’a pas toujours été dans la lumière.
L’histoire familiale débute en 1948 dans le quartier des Chutes-Lavie, à Marseille. Henri Mathieu, père de Régis, fonde Mathieu Fall, une manufacture spécialisée dans la fabrication en série de lustres, distribués dans des magasins dédiés. Elle comptera jusqu’à 200 salariés, « une réussite notable pour l’époque ! », souligne Régis Mathieu. Alors que ces luminaires, supplantés par les halogènes, semblaient voués à disparaître, Henri Mathieu crée dans les années 1970 une collection de lustres cinétiques en forme de spirale, qu’il envisage déjà comme des sculptures lumineuses. À son décès soudain en 1982, son épouse Yvette reprend les rênes de l’entreprise, mais face au déclin du marché, celle-ci se trouve menacée de fermeture : « Les lustres d’antan étaient tombés en désuétude, il fallait imaginer des créations plus contemporaines et intemporelles« , explique Régis Mathieu.
Mes parents faisaient des lustres haut de gamme, moi, je fais des œuvres d’art.
Régis Mathieu, Fondateur et dirigeant de Mathieu Lustrerie
Passionné par les « belles choses » depuis l’enfance, Régis Mathieu a l’intuition que ces beaux objets du passé ont rendez-vous avec l’avenir. Alors en école de commerce, il choisit la lustrerie comme projet d’alternance. À l’issue de sa formation, il décide de relancer l’entreprise familiale qui ne compte plus que quatre salariés. Il la rebaptise Mathieu Lustrerie, se forme aux côtés des artisans spécialisés et part à la conquête des Etats-Unis et du Moyen-Orient, où il vend le style français à une clientèle prestigieuse. Son ambition ? Allier luxe, tradition et modernité, en inscrivant dans l’air du temps un savoir-faire ancestral. « Mes parents faisaient des lustres haut de gamme, moi, je fais des œuvres d’art. », résume-t-il avec simplicité. Le lustre n’a plus seulement vocation à éclairer mais devient également un objet de décoration à part entière, capable de créer une atmosphère singulière.
Toujours à la recherche de l’excellence, Mathieu Lustrerie développe progressivement un savoir-faire unique dans la restauration et la réédition de lustres anciens en travaillant en étroite collaboration avec des propriétaires, architectes et gestionnaires de monuments historiques.
Un rayonnement international
À l’époque, il n’est pas facile de se faire accepter par ses pairs, dirigeants de maisons ancestrales. Mais à force d’abnégation, Régis Mathieu remporte de premiers appels d’offre, marquant ainsi le début d’une série de succès. Il restaure d’abord les lustres du château de Versailles en 2004, puis le lustre monumental de la salle Garnier de l’Opéra de Monaco en 2005, pour lequel il recevra le prestigieux Prix National de la Société d’encouragement aux métiers d’art. Ces réalisations seront notamment suivies par la restauration des lustres de l’Assemblée Nationale, de l’Académie de musique de Philadelphie, du Palais de Laxmi Vilas en Inde, et plus récemment, des lustres de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Préserver le patrimoine et le savoir-faire n’est pas simplement un métier, c’est une responsabilité
RÉGIS MATHIEU, FONDATEUR ET DIRIGEANT DE MATHIEU LUSTRERIE
Pour réaliser ces prouesses techniques, il s’entoure d’une trentaine d’artisans, ses « compagnons », une équipe hautement qualifiée issue des meilleures écoles d’art. « Préserver le patrimoine et le savoir-faire n’est pas simplement un métier, c’est une responsabilité. », explique-t-il. La plupart des lustres des demeures historiques, des musées et des palais ont souffert des assauts du temps et sont souvent incomplets, certaines pièces ayant totalement disparues. Les « faiseurs de miracle » effectuent alors des recherches minutieuses dans les documents d’archives pour retrouver les pièces d’origine et se placer dans la logique du fabricant de l’époque, « un véritable travail d’archéologue ». Ces restaurations peuvent être un simple nettoyage ou une réélectrification avec les « bougies Mathieu » (brevetées en 2006), des ampoules LED qui restituent l’ambiance lumineuse d’une flamme de bougie. Elles peuvent également impliquer la refabrication complète des pièces en bronze, la dorure ou encore la fourniture de pampilles. Un travail qui demande une certaine patience et une véritable passion : « Mon travail ? Je pourrai en parler durant des heures ! », témoigne David, un compagnon qui cumule 25 années d’ancienneté.
Lorsqu’il ne redonne pas une seconde jeunesse à ces lustres d’exception qui parsèment le globe, Régis Mathieu s’attèle à créer des reproductions à l’identique des lustres les plus majestueux. Cela a été le cas pour les 300 lustres classiques et les grandes lanternes de l’Hôtel de la Marine à Paris ou encore pour les lustres du salon Saint-Georges et de la salle Vladimir du Kremlin : « Ces lustres étaient au service des grands de ce monde, comme démonstration de leur pouvoir. C’est avec beaucoup d’humilité et de précision que nous sommes aujourd’hui capable de les rééditer. »
En puisant mon inspiration dans le passé, je cherche à éclairer le présent
Régis Mathieu, Fondateur et dirigeant de Mathieu Lustrerie
Enfin, il ne faut pas oublier le travail de création pour lequel Régis Mathieu exprime tout son talent. Ces sculptures de lumière, qui adoptent des formes plus modernes et mêlent lustrerie, joaillerie et orfèvrerie, enchantent les collectionneurs, les architectes contemporains et les grandes maisons telles que Hermès, Christian Lacroix, Chanel, Cartier ou encore Louis Vuitton. « En puisant mon inspiration dans le passé, je cherche à éclairer le présent, explique le designer, chaque pièce est unique et numérotée. »
Toujours en quête de grandeur et d’excellence, il était naturel que les ateliers de Mathieu Lustrerie reflètent les ambitions de son dirigeant. En 2002, l’entreprise s’installe dans une ancienne usine d’ocre à Gargas, dans le Luberon. Régis Mathieu transforme les bâtiments pour en faire un lieu ouvert au public tout en conservant certains vestiges de l’époque ocrière : « Je souhaitais préserver l’histoire de ce site et la prolonger en écrivant la mienne ici », détaille-t-il.
Partager & transmettre
« Ce qui n’est pas partagé est perdu ». Fidèle à l’engagement de son fondateur, la lustrerie Mathieu accueille gratuitement les visiteurs lors de ses jours d’ouverture. Ils sont invités à découvrir cet univers fascinant où l’art de la lumière prend vie. Depuis 2022, un musée, le Mathieu Museum, présente une sélection de la vaste collection de lustres de Régis Mathieu : « J’ai rassemblé près de 1000 lustres de toutes époques, styles, matériaux et sources lumineuses confondus. », dit-il fièrement. Une immersion unique à travers six siècles d’histoire de la lustrerie. En décembre 2022, le collectionneur a mêlé sa passion pour les lustres à celle pour les Porsche en organisant une exposition « Lumières sur 60 ans de Porsche 911 » lors de laquelle 40 Porsche étaient mis en lumière dans des espaces spécialement imaginés pour l’occasion. « Cette exposition a attiré plus de 55 000 personnes. On ne s’attendait pas à un tel succès, c’était tout simplement magique ! », se souvient-il.
Si le partage est l’une des valeurs fondamentales de l’entrepreneur, la transmission occupe une place tout aussi importante. Père de deux enfants, Régis Mathieu aspire à perpétuer l’histoire familiale. Sa fille, Inès, âgée de 25 ans, a rejoint l’entreprise en 2022 après avoir acquis une solide expérience dans les métiers d’art. Preuve de la confiance du « Père Mathieu », c’est elle qui assure le suivi du chantier de restauration des lustres de la cathédrale Notre-Dame de Paris. « Lorsque j’ai repris l’entreprise, ma mère m’a laissé faire, elle a eu foi en mes idées. », témoigne Régis Mathieu avant d’ajouter : « Je ne sais pas encore quand je passerai le flambeau mais l’entreprise a beaucoup de chance d’avoir trouvé Inès ! » Un avenir radieux se dessine ainsi pour la lustrerie Mathieu, qui continuera à briller de mille feux.