Un des derniers artisans à travailler le bois d’olivier – Implanté à Tourettes-sur-Loup, village provençal dominant la Méditerranée – Guidé par son père qui lui a transmis ce savoir-faire – Un quotidien rythmé par les copeaux, la sciure de bois et le chant des cigales.
Un jour de mistral de septembre, je traverse la place de Tourrettes-sur-Loup, village médiéval trônant sur un éperon rocheux, direction la grand’rue. Guillaume Dubosq m’attend à l’entrée de sa boutique « Le bois d’olivier ». À peine arrivés, la visite de la boutique commence. « À l’époque, raconte Guillaume, il y avait un artisan travaillant le bois d’olivier dans chaque village de la Côte d’Azur. Malheureusement, au fil du temps et en l’absence de repreneurs, ces ateliers ont fermé progressivement. » Guillaume est désormais l’un des derniers représentants de ce savoir-faire en France.
Sa spécialité ? La fabrication d’objets usuels de la table : saladiers, coupes, ustensiles de cuisine, couverts, plateaux, planches, corbeilles à fruits mais aussi vases, sculptures, tables basses… La boutique de Guillaume est une véritable caverne d’Ali Baba. C’est alors qu’il me montre un bol massif, qui a été façonné dans un bois d’olivier millénaire, travail qui a nécessité cinq ans. Chaque objet vendu dans sa boutique est forcément unique par sa forme, son veinage. Il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets. Il commercialise également des pièces d’autres artisans travaillant le bois car il aime promouvoir la diversité des savoir-faire.
Une photo de son père creusant le bois, copeau après copeau trône dans la boutique. Ce dernier découvre le travail du bois d’olivier, en 1952, en traversant la vieille ville de Vence à la sortie de l’école. Chaque jour, il observait un artisan confectionnant des sculptures, coupes à fruits et saladiers sur la place du village. On imagine facilement sa fascination face à cet homme faisant virevolter les copeaux de bois sous les coups d’herminette. En quittant l’école à 18 ans, il se forme auprès d’un artisan niçois avant de se lancer à son compte, en autodidacte. Il s’installe à Tourrettes-sur-Loup en 1958 et ouvre une boutique/atelier qu’il ne quittera plus. En hiver, en l’absence de touristes dans le village, il se rendait dans les champs, un bout de bois sur l’épaule et s’installait au soleil pour sculpter toute la journée.
N’ayant pas la place de construire un bateau dans mon jardin, j’ai choisi de m’atteler à la réalisation d’un violon
GuillaUme Dubosq, artisan du bois
La visite se prolonge sur les hauteurs du village dans l’atelier de Guillaume. En passant le pas de la porte, je suis saisie par l’odeur de ce bois si particulier qui embaume la pièce. « Le point de départ de mon travail est de trouver du bois de qualité en France, Italie, Espagne, Tunisie ou en Grèce. Pour cela, je suis très attentif aux aléas climatiques et j’ai également un réseau paysan important. », m’explique-t-il tout en se frayant un chemin dans l’atelier. Il y a 5 ans une vague de froid s’est abattue sur le Portugal et la totalité des oliviers poussant en altitude sont morts. Guillaume en a récupéré plus de 20 tonnes. Il utilise les branches et parfois les troncs qu’on appelle aussi grumes d’oliviers.
Guillaume a pris la relève et travaille le bois toute la journée dans son atelier. Le cadre et le rythme de travail ont changé mais la passion perdure. Après une formation de quatre ans en ébénisterie, il effectue une seconde formation de lutherie de deux ans avant de commencer à travailler avec son père. Son premier objet ? Un violon. Il n’en joue pas mais la lutherie du violon et la charpente maritime sont parmi les objets les plus difficiles à façonner : « N’ayant pas la place de construire un bateau dans mon jardin, j’ai choisi de m’atteler à la réalisation d’un violon ». Il ajoute : « Le bois utilisé pour cet instrument a été mis au séchage l’année de ma naissance ! » Fils d’une mère musicienne, Guillaume est fasciné par la qualité acoustique du bois d’olivier en termes d’équilibre et de puissance de son. Après huit années de travail, il présente sa réalisation au grand concours des métiers d’arts « SEMA », concours qu’il a remporté.
« Les variétés d’oliviers sont très différentes les unes des autres. Les oliviers italiens peuvent ainsi faire jusqu’à 20m de haut tandis que les tunisiens sont plus petits, tourmentés et les espagnols plus ramassés. Toutes les variétés ne sont pas intéressantes pour leur bois. », explique Guillaume. Il essaie donc de récupérer des arbres morts de maladie ou encore de vieillesse, du bois abîmé, des arbres déracinés ou tombés etc. et s’approvisionne également auprès de pépinières ou de domaines horticoles faisant des tailles régulières.
L’ensemble de son travail est orienté vers l’économie de cette matière première si noble. Là où des arbres tels que le chêne ou le pin poussent assez rapidement, l’olivier demande de nombreuses années pour se développer. D’ailleurs, dans l’atelier de Guillaume, rien ne se perd : les copeaux de bois sont utilisés pour se chauffer en hiver et la sciure pour colmater les fentes ou défauts présents sur certaines pièces. Avec les chutes, il s’efforce de réaliser diverses petites pièces : jusqu’à sept déclinaisons de produits en partant d’un modèle de base.
La patience est une qualité indispensable du sculpteur
GUILLAUME DUBOSQ, ARTISAN DU BOIS
Les grumes sont rapidement débitées en planches ou en bloc selon les objets souhaités et stockées en extérieur à plat durant 8 à 10 années, avant d’êtres utilisées pour fabriquer des objets. À l’inverse les saladiers et bols doivent être façonnés le plus rapidement possible dans du bois vert puis séchés trois ans selon une technique unique et labellisée. L’olivier a un bois extrêmement difficile à travailler de par sa dureté et le sens noueux de sa fibre et de sa veine. Il requiert maîtrise et dextérité. L’autre complexité est qu’il faut des années pour le faire sécher : « La patience est une qualité indispensable du sculpteur. »
Parcourant les allées de son atelier, Guillaume manipule divers outils en m’expliquant que les ustensiles habituels de l’ébéniste (scie à ruban, ciseaux à bois, ponceuse…) sont à l’honneur dans l’atelier mais que la vieille herminette a fait place à la « boule râpe » . « Il a fallu adapter les outils pour travailler plus facilement ce bois si particulier et exigeant. », confie Guillaume. Avec son père, ils ont donc développé des outils sur-mesure et mécanisés pour gagner en puissance, en temps et en efficacité. Il est entendu que la machine ne remplacera jamais la main de l’homme et que c’est toujours la main de Guillaume qui conduit le morceau de bois avec créativité et savoir-faire.
Mettre en forme un objet c’est également passer beaucoup de temps à toucher la matière : pour sentir les arrondis, les bosses, les creux. C’est également une façon de comprendre quels sont les défauts du bois (qui ne sont pas toujours visibles à l’œil nu) ou sentir son hygrométrie (taux d’humidité). Le bois frais a un taux compris entre 60 à 70 % d’humidité à l’inverse d’un bois sec dont le taux est plutôt compris entre 10 à 20 %. Autre méthode ? Faire sonner le bois (en toquant dessus) : en fonction de sa résonance le bois est plus ou moins sec. La couleur du bois varie selon que l’on est plus ou moins proche de l’aubier (partie externe du bois, plus claire) ou du duramen (partie interne du bois, plus colorée) mais également en fonction des variétés d’oliviers et de la zone dans laquelle ils ont poussé (certains sont plus rouges, d’autres plus bruns…).
Le séchage naturel est indispensable pour une pièce de bonne qualité
J’assiste au ponçage d’un saladier. L’atelier se remplit tout à coup de sciure de bois, ce qui lui confère une ambiance magique. Il faudra attendre trois longues années pour qu’il trouve une place de choix sur les étagères de la boutique ! Guillaume est le seul artisan à produire des saladiers en bois d’olivier car il est le fruit d’un long processus. « Le séchage naturel est indispensable pour une pièce de bonne qualité », explique-t-il, avant d’ajouter : « Mes grands saladiers, qui sont le produit phare de la boutique, je les garantis à vie ! » Les années de séchage assurent le fait qu’ils ne bougeront pas. Le bois d’olivier bien entretenu traverse les époques.
Quand on demande à Guillaume comment il pense une pièce, il explique puiser son inspiration dans les formes tourmentées de l’arbre, jouer sur les épaisseurs et imaginer les tracés appropriés : « Le design de mes créations est dicté par la nature » explique-t-il avant de conclure : « C’est le bois qui décide ». La dernière étape pour achever une pièce ? Signer le bois avec le fer à souder. Il lui arrive également d’ajouter le label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) que l’atelier détient depuis trois ans.
En finissant sa visite, Guillaume me confie sa crainte que son savoir-faire disparaisse. « Il faudrait des années pour retrouver les différentes techniques du travail du bois », explique-t-il. Il a le sentiment que peu de jeunes sont motivés et disposés à prendre la relève. En quittant cet atelier, j’ai espoir qu’un.e passionné.e viendra à son tour rendre hommage à Guillaume, son père, et ceux qui les ont précédés en perpétuant leurs gestes et leurs savoir-faire.