Appelée « terre de présidents », la Corrèze est pourtant bien loin des dorures de l’Élysée et des jeux de pouvoirs que l’on prête à ses anciens résidents. Ici pas de chichi mais un profond respect pour le terroir et ses traditions malgré l’exode rural qui fait des bovins les principaux résidents de ce territoire chargé d’histoires. C’est celle d’Albert et Paulette que nous allons vous raconter aujourd’hui.
14 juillet 1957, la fête bat son plein sur la place du village de Rilhac-Treignac, rien de plus normal, c’est le bal des pompiers, l’équivalent d’un speed dating géant. À une époque où l’on parlait encore en ancien franc et où copains d’avant était un nom de bistrot, c’est une soirée que l’on ratait pour rien au monde ! Albert et Paulette, deux jeunes étudiants du coin d’à peine 20 ans sont là avec leurs amis. Elle, souhaite devenir institutrice, lui, ingénieur. Ils ne le savent pas encore mais cette fête est le début d’une belle et longue histoire entre eux, mais aussi avec cette région.
La Corrèze : des racines extensibles
Quelques étés plus tard, leur diplôme respectif en poche, P & A vont prendre la première grande décision de leur vie : « monter à la capitale ». Non pas pour visiter la ville mais bien pour y habiter : direction Chilly-Mazarin. Exit les champs et les vaches de Corrèze, bonjour la banlieue parisienne. Le coffre de la 504 est à moitié plein, quelques carnets de dessin pour Albert, des manuels scolaires pour Paulette, et c’est parti ! C’est qu’ils ont une vie à construire, alors autant partir léger.
Tous deux travaillent alors à Paris avec l’espoir de retrouver leur chère Corrèze dès que l’occasion se présentera. Durant cette expérience parisienne, Albert choisira de se reconvertir : de dessinateur d’avion, il deviendra professeur dans une école d’ingénieur afin d’avoir autant de vacances que Paulette. Leurs deux enfants, Pascal et Patrice seront biberonnés au terroir corrézien alors même qu’ils sont élevés en Île-de-France, « les corréziens du 91 ».
Une vie de travail plus tard, la deuxième plus grande décision de leur vie est prise : si l’expérience parisienne était pour le travail, la retraite sera bien corrézienne. La voiture remplie de meubles et de souvenirs, c’est le retour à la case départ ! Paulette et Albert sont finalement des pionniers de l’exode urbain.
En 40 ans, leur terre natale a bien changé. Même s’ils n’en étaient pas coupés, il est parfois difficile de voir les dégâts que font les années. C’est en roulant fenêtres ouvertes qu’ils constatent avec tristesse que (presque) tout a fermé : carrossier, bar, café, restaurant, épicier, et même le boulanger qui passait en camion deux fois par semaine. Pas de discours défaitistes pour autant, mais comme le résume très bien Paulette : « C’était mieux avant, non pas parce qu’on fait les choses différemment maintenant, mais parce qu’on ne peut plus les faire. »
Alors pas question d’abandonner Rilhac-Treignac et la Corrèze aux mains du vide et du silence. De leur métier d’enseignant, la passion de la transmission est restée intacte, plus vivante que jamais, et ce n’est pas un exode rural de quelques décennies qui va les arrêter.
Transmettre pour sauver
Pour Albert, la transmission n’est pas qu’une histoire de mécanique mais bien de famille. Une boîte à trois vitesses qui continue de le faire avancer et qu’il arrive à entretenir avec ses talents de mécano.
Passons la première avec ses deux fils Patrice et Pascal qui, malgré une enfance en Île-de-France, sont certainement plus corréziens que nos anciens présidents du coin. Un amour pour cette région et un attachement très fort à leur terre dont ils reprennent peu à peu la gouverne, même si le prince Albert ne passe pas la main si facilement.
Cela fait déjà quelques années que le flambeau est (presque) passé dans les mains de ses fils avec la gestion des ruches. Le miel est une véritable histoire de famille, sans pour autant être une passion : « quatre générations que l’on fait du miel et pas une qui aime ça. À la base, la cire, ça payait les impôts et ça nous faisait des bougies, ce n’était pas vraiment pour les tartines », nous confie Albert. Pour autant cette tradition perdure au fil des générations avec Pascal qui est désormais le gardien du dernier essaim. Être une abeille en 2022, c’est faire face au changement climatique, aux pesticides ou encore au bouleversement des saisons. Ces évènements ont bien souvent raison des ruches d’une année à l’autre : « À l’époque de mon grand- père on avait sept ou huit ruches qui tenaient sur des années aujourd’hui c’est une par an. », nous raconte Pascal, un poil dépité. Avec une production de trois kilos de miel annuel, ce n’est évidemment pas la rentabilité qui anime Pascal et Albert dans ce projet.
La transmission passe aussi par la nouveauté. L’hiver dernier, Patrice et Pascal ont lancé une culture de myrtille sur l’exploitation familiale. Même si on sent que leurs visions ne se croisent pas toujours (un débat sur l’écart des pieds de myrtille a notamment fait rage !), il reste néanmoins une passion commune de faire vivre cette terre corrézienne et de la préserver : « Pour les champs de myrtille, tout vient du coin. Tout est réutilisé pour faire pousser : du blé noir pour préparer la terre au tuyau d’arrosage. », nous explique Patrice. Le projet mobilise bien au-delà de la famille et ce sont désormais les amis, les voisins ou les connaissances du coin qui viennent régulièrement apporter leur grain de sable à l’édifice. Les premières myrtilles, attendues pour septembre, ont montré leur éclat dès le mois de mai.
Passons la seconde avec la nouvelle génération : Romain, 30 ans, fils de Pascal. Résidant à Paris depuis sa naissance, il ne lui a pas fallu plus de quelques mois pour choper le virus de la Corrèze en se retrouvant au volant d’un tracteur avant même de savoir marcher. Bien entouré de son père et ses grands-parents, la passion fut contagieuse.
Le graphiste de formation apporte une autre pierre à l’édifice familial. Passé par l’apprentissage du tracteur, de la ruche et des champs durant ses vacances scolaires sur la propriété familiale, il a jeté son dévolu sur le travail du bois. Romain valorise ainsi le bois issu des forêts corréziennes sous l’œil exigeant et expérimenté d’Albert qui ne manque pas de mettre la main à la souche pour aider son petit-fils. À contre courant d’un territoire où le temps est consommé par la terre, il donne le sien pour apporter une autre vision, celle d’un terroir où l’on cultive depuis des générations le bon mais où le beau a aussi sa place.
Enfin, passons la troisième et dernière de cette boîte à trois vitesses corrézienne, celle qui nous emmène plus vite, plus loin : l’inépuisable Paulette. Si Albert est un pilier familial, Paulette en est bien le ciment. Retraitée d’une carrière d’institutrice, elle en a gardé ce goût pour la transmission, l’éducation mais aussi le partage et la préservation des lieux, des histoires et de la cuisine régionale !
Son festival du pain, aux 20 éditions, durant lequel elle rallumait tous les fours à pain de la région pour réhabiliter un savoir-faire ancestral et redynamiser les villages aux alentours. Mais aussi son livre d’histoire des savoir-faire culinaires et des histoires régionales qui est une vraie mine d’or d’anecdotes et de culture : saviez-vous que le plateau de Millevaches doit son nom à ses petits ruisseaux et non aux bovins qui l’habitent ?
Issue d’une famille rurale modeste, Paulette puise cette soif d’apprendre et de transmettre dans son histoire personnelle qui l’a profondément marquée, elle qui a failli arrêter les études en cm2. Mais elle n’est pas pour autant déconnectée des projets agricoles et techniques, bien au contraire ! Elle a même des avis assez tranchés sur le sujet : « Cultiver du blé noir ? Mais le blé noir on ne s’en sert plus, même les poules n’en veulent plus donc il faut le vendre aux bretons. » ou encore sur le jardin de ses voisins : « Le voisin a planté un bananier, si c’est pas un signe que ça se réchauffe ! ».
La Corrèze, cette terre qui a vu naître Jacques Chirac, Albert ou Paulette est finalement à l’image de notre couple princier de Rilhac-Treignac : fière de ses traditions et avec une inlassable envie de partage, de vie et de transmission.