Jean-Charles

Dit Jeannot – 27 maîtresses à temps complet – né au pied d’une vigne et nourri à la mamelle d’une brebis – domicilié aux Borels, à Hyères-les-Palmiers dans le Var – vit en plein cagnard au rythme de ses brebis et faut pas venir l’emmerder.

Jean-Charles, c’est l’homme sur la couverture de la revue. De son vrai prénom Jean, il est berger, et provençal de surcroît. Il choisira assez jeune de rajouter Charles à son identité.

« Jean étant un prénom attribué aux fainéants et aux ignorants, Charles sera là pour compenser les travers du premier ». À 84 ans, Jean-Charles remercie encore chaque matin Charles de filer « des coups de pieds au cul à Jean », pour se rendre à la bergerie aux aurores. Il n’est pas 8h00, lorsque nous comprenons que nous venons de faire une sacrée rencontre, celle d’un personnage unique en son genre. Le tableau se dessine.

Des vies dédiées au terroir varois

Nous sommes au creux de l’hiver et nous entamons une journée à ses côtés. L’œil vif et brillant, incroyablement attachant et charismatique, Jean-Charles incarne la culture pastorale provençale. Nous passons dix heures de temps avec lui, dont huit durant lesquelles il parle sans discontinuer, jonglant entre le français, le provençal et l’espagnol. Il ponctue ses phrases de mots provençaux, s’emporte lorsqu’on lui parle des réseaux sociaux, se révolte lorsqu’on aborde la politique, s’énerve lorsqu’on le questionne sur les conditions d’élevage actuelles et de l’agriculture en général. Tous les sujets y passent, et notre berger a un avis bien tranché sur chacun d’entre eux. Et si l’on se risque à quelques anglicismes, il nous envoie balader dans la seconde : « Vous êtes pas parisiennes vous à ce que je sache ! Ici on parle le provençal ! »

L’amour, le raisin et les brebis coulent dans les veines de Jeannot

Jean-Charles semble avoir eu cent vies. Il est né au pied d’une vigne, dans le village où son père, un berger descendu des Alpes, rencontra au bal du village la future mère de Jean-Charles, elle-même fille d’un vignerons aux Borels… L’amour, le raisin et les brebis coulent dans les veines de Jeannot. Il grandit entre la bergerie et les coteaux varois, fait l’école à même la terre, et apprend à conduire un tracteur avant une voiture. Très tôt, déjà fier de s’imaginer reprendre l’affaire familiale, il orchestre les vendanges comme un chef et gère les saisonniers. Plus tard, il s’engage dans l’armée et croit presque mourir en théâtre d’opération. C’est d’ailleurs dans les rangs qu’il apprend à parler espagnol – ne lui demandez pas comment, il est doué en langues -, avant de revenir au bercail. Depuis, il marche dans les pas de son père et de son grand-père avant lui. Des vies dédiées au terroir varois.

Aujourd’hui, c’est le pastoralisme qui fait chanter l’âme de Jean-Charles

Aujourd’hui, c’est le pastoralisme qui fait chanter l’âme de Jean-Charles. Il nous confie que ses amis ne lui souhaitent qu’une fin en ce bas monde : être retrouvé piétiné par ses brebis dans sa bergerie.  Retraité de la vigne, Jeannot n’abandonnerait pour rien au monde celles qu’il appelle ses maîtresses. Il en a encore une trentaine en bergerie, comme le lui autorise la loi européenne. Elles aussi sont endémiques de la provence puisqu’elles appartiennent à la race des Mérinos d’Arles. Jean-Charles nous assure qu’elles produisent la plus belle qualité de laine au monde. Chauvin ? Lui ? Pas pour un sou… Il n’empêche que travailler avec des races dites « rustiques », permet d’avoir une meilleure qualité de lait, notamment grâce à des animaux en bonne santé car mieux adaptés au milieu comme aux conditions de vie.

Un père de famille

Chaque jour de sa vie est rythmée par le bien-être de ses douces. Le matin, tôt, vous le trouverez assurément en bergerie. Jean-Charles prend le temps de soigner ses brebis. Il leur prépare des mélanges particuliers avec amour, se prête à des essais de diététique dira-t-on. Nous écoutons avec attention chacune de ses paroles puisque nous sommes dispensées de la préparation de la tambouille. Impossible de mettre la main à la pâte : il semblerait que seuls les cancers savent travailler, et nous avons rapidement établi que ni l’une, ni l’autre, n’étions natives de ce signe. Nous passons donc notre tour, mais nous avons largement de quoi faire : il faut s’accrocher pour suivre les grandes envolées lyriques de cet homme atypique !

Jean-Charles nous divulgue également le contenu de son précieux carnet rouge.  À mi-chemin entre un état civil et un journal d’expérimentations, il y recense tout. La composition des repas servis aux brebis, les poids, les maladies… Il y tient aussi ses comptes, ses denrées, note quand viendra le tondeur cette année. Il y ajoute la carte d’identité de chaque brebis, leur prénom et leur lignée, pour éviter les consanguinités. Il nous montre ainsi les familles qu’il a créées. Il semble être leur père à tous. Bertille est la fille d’Églantine, Églantine la demi- sœur de Célestin et ainsi de suite. Un élevage à la vie éternelle.

Un élevage à la vie éternelle

En bon père de famille, Jean-Charles observe, et apprend en observant. Ainsi, il nous raconte qu’à la lune montante, quand le sang circule moins fort, il coupe la queue des petites brebis pour pouvoir voir leurs mamelles, même de loin, et veiller à ce qu’elles ne fassent pas de mammite, une infection particulièrement néfaste. Après une mammite, si la brebis survit, elle ne peut plus produire de lait.

Mais, notre varois n’est pas seul pour prendre soin de tout ce petit monde. Nous ne pouvons parler de Jean-Charles sans évoquer sa chienne Nori. Nori, c’est celle qui veille sur les brebis autant que sur son maître. Un authentique berger de Crau, « pas un berger américain, ni australien, il s’agit du chien de mes ancêtres, qui ont de tout temps accompagné les brebis sur les terres de provence. Boudiou, pour qui vous me prenez enfin ?! » 

Cet homme est un poème qui sent le soleil et les cigales à lui seul

Après le repas, une courte sieste et deux biberons aux jumeaux nés quelques mois plus tôt, l’après-midi se déroule dans les prés, sur sa colline à Hyères. C’est là que Jean-Charles contemple son monde jusqu’au soleil couchant. Cet homme est un poème qui sent le soleil et les cigales à lui seul.

C’est dans ce même champ que nous le retrouvons plus tard dans l’année, quand sonne l’heure de l’été, la peau tannée par le soleil, le visage buriné par une vie de labeur et de passion. Il est 17h00 lorsque nous arrivons. Chemise bleue ouverte, chapeau de paille, brin d’herbe au bec, voici le style de la saison estivale ! Il est là, sa canne à la main, une chaise à proximité au cas où la vieillesse se ferait sentir, et Nori, fidèle au poste, prête à rabattre une brebis qui ferait du zèle au premier coup de sifflet de Jeannot.

Ce jour-là, jusqu’à l’heure dorée, Jean-Charles nous en raconte toujours de nouvelles. Et ce jour-là encore, Jeannot, fier, se laisse volontiers mitrailler, les cliquetis du boîtier ne le coupent dans aucune envolée. Rien ne le perturbe. L’appareil photo signale « cartes pleines », les cartes mémoire tombent une à une mais Jean-Charles, lui, ne montre aucun signe de faiblesse. Il n’aura jamais fini de nous raconter son monde. Intarissable de paroles, et nous, avides de l’entendre toujours.

Une sobriété heureuse

Il est là depuis des heures, sans eau, même en plein cagnard « m’en fiche, ça fait travailler les reins ». Il observe ses collines et ses brebis : « rien ne peut me rendre plus heureux que de les voir gambader, se régaler» de la luzerne qu’il a pris soin de semer. Une sobriété heureuse.

Le moment est ordinaire mais l’instant est beau, magique à contempler

Le moment est ordinaire mais l’instant est beau, magique à contempler. Jean-Charles, ému, regarde ses bêtes, comme sa famille. Il faut dire aussi que toutes portent des prénoms d’amis, voisins ou rencontres de passage. Peut-être y aura-t-il une Justine et une Sophie lors des prochaines naissances… Nous avons pris soin de semer l’idée dans l’esprit de Jeannot en tous cas !

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