Les sentinelles de la vallée

Laure, Charlotte, Marie-Laure, Chloé, Josiane : elles sont cinq parmi tant d’autres, des femmes qui insufflent vie et caractère à la vallée du Valgaudemar. Chacune puise dans la force de ces montagnes l’énergie pour nourrir sa passion et porter ses engagements. À travers leurs métiers et leurs histoires, elles racontent un attachement profond à cette vallée, qu’elles préservent à leur manière.

Valgaudemar, Valgodemard, Valgo… Quelle que soit la manière de la nommer, cette vallée ne se raconte pas, elle se vit. En quittant Saint-Firmin, la route s’enfonce au cœur du massif des Écrins, et très vite, le paysage change. La vallée se resserre, encaissée entre des parois vertigineuses, comme une porte ouverte sur la haute montagne. Ici, la nature semble reprendre ses droits, imposante et indomptable. Chaque virage dévoile alors un décor brut et sauvage, où l’on se sent tout petit face à cette immensité. Pendant trois jours, nous avons parcouru ce Valgaudemar sauvage, à la rencontre de femmes inspirantes qui incarnent l’âme de cette vallée.

→ Jour 1 – Découverte de la vallée du Valgaudemar & Laure

Un déjeuner au refuge du Gioberney à La Chapelle-en-Valgodemar

À 1650 mètres d’altitude, au bout de la route sinueuse qui traverse la vallée du Valgaudemar, le refuge du Gioberney se dévoile, comme une porte d’entrée vers la haute montagne. Entouré par les sommets mythiques des Écrins — le Sirac, les Bans, les Rouies — l’endroit mêle étonnamment accessibilité et dépaysement. Refuge et restaurant, il accueille randonneurs, familles et alpinistes dans une ambiance chaleureuse.

C’est autour d’une assiette fumante d’oreilles d’âne que nous rencontrons Jean-François, dit Jeff, qui gère le refuge avec sa compagne Amande. « Ici, on n’est que de passage, mais la montagne, elle, ne bouge pas. », philosophe-t-il entre deux allers-retours en cuisine. Le maître des lieux aime saluer chaque client d’un grand geste ou d’une blague bien sentie. « Ah, voilà les courageux ! Alors, ça grimpe bien dans le Valgo ? », lance-t-il à une table de randonneurs. Jeff veille également à ce que chacun reparte avec un sourire et un ventre bien rempli. « Ici, on est là pour nourrir les corps et l’esprit ! », plaisante-t-il. Dans cette bâtisse de pierre, construite en 1943, la cuisine est un hommage au terroir : agneau du Valgaudemar, tourtons dorés, ravioles croustillantes servies avec une touche de miel local… Tout respire la simplicité et l’authenticité. « On fait avec ce que la vallée nous donne. C’est pas de la haute gastronomie, mais c’est du vrai, du bon, et c’est ça que les gens viennent chercher. », assure Jeff.

Le refuge de Gioberney fut un excellent point de départ pour découvrir celles qui, au-delà des cimes et des torrents, incarnent l’âme vivante et résiliente de cette vallée.

Laure, infatigable gardienne du troupeau à Saint-Maurice-en-Valgodemar

En remontant la vallée, nous faisons halte à Saint-Maurice-en-Valgodemard, un petit village où se trouve l’exploitation de Laure Briançon. Sous un ciel chargé et entourée de montagnes, Laure nous accueille avec un sourire franc et des mains qui portent les traces d’un métier exigeant. À 45 ans, elle gère seule un troupeau d’une cinquantaine de brebis, un défi quotidien qu’elle relève avec une détermination à toute épreuve.

« Les gens qui pensent que je vais arrêter, ils ne savent pas d’où je viens ! », lance-t-elle, en jetant un œil sur son troupeau. Ancienne bergère, Laure a passé des années à monter en estive, affrontant la solitude des alpages et les caprices de la météo. Ces expériences, qui auraient pu en décourager plus d’un, lui ont forgé un caractère solide. Aujourd’hui, c’est dans la vallée Valgaudemar qu’elle a trouvé son équilibre, bien que le métier reste éprouvant : la traite biquotidienne, les maladies, la menace constante du loup. « On est toujours sur le qui-vive, mais c’est ça aussi, la vie d’éleveur. On ne la choisit pas par hasard. », confie-t-elle en caressant une brebis venue chercher son attention.

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Malgré les contraintes, Laure ne baisse pas les bras. Ses brebis, qu’elle connaît par cœur, lui permettent de produire des fromages de différentes tailles qu’elle vend sur les marchés locaux. « Voilà à quoi ressemble mes fromages. », dit-elle en nous en tendant un, prêt à être dégusté. À travers ce travail minutieux et patient, elle perpétue une tradition pastorale qui fait partie de l’âme du Valgaudemar.

Pour Laure, être éleveuse de brebis, c’est bien plus qu’un métier : c’est une vocation, une manière de vivre en harmonie avec ce territoire qu’elle aime profondément. « La montagne, elle donne, mais elle prend aussi. Faut juste savoir l’écouter. », résume-t-elle. Ses mots résonnent comme une leçon de vie, un hommage à cette vallée qui, malgré ses défis, continue d’inspirer celles et ceux qui ont choisi d’y poser leurs racines.

  • La Ferme des Garrets, les Garrets, 05800 Saint-Maurice-en-Valgodemard

→ Jour 2 – Charlotte & Marie-Laure

Charlotte, cultivatrice de liens à Saint-Firmin

Le lendemain matin, nous avons poussé la porte de la maison de Charlotte Passelègue, une petite bâtisse ancienne nichée dans un écrin de verdure. C’est ici que Charlotte, ethnobotaniste et productrice-cueilleuse, a choisi de poser ses valises après plusieurs années de pérégrinations dans les Alpes. « Je ne viens pas d’ici, mais cette vallée m’a adoptée, ou plutôt, j’ai appris à vivre à son rythme. », dit-elle en souriant.

Alors que nous sommes installés dans sa cuisine à déguster une tisane maison, Charlotte nous raconte son parcours, marqué par un amour indéfectible pour la nature et les savoirs ancestraux. Son métier, qu’elle a créé « sur mesure », est une alliance de cueillette, de transformation et de transmission. « Chaque plante a son moment, son énergie. Il faut être attentif, respecter son cycle, et ne jamais prendre plus que ce dont on a besoin. », explique-t-elle.

Après avoir vidé nos tasses, Charlotte nous mène à l’étage, dans son grenier aménagé en séchoir. L’air y est délicatement parfumé, chargé des effluves des plantes qui reposent sur des claies de bois. Hysope, Reine des prés, Cynorhodons… Les bouquets séchés dévoilent des nuances de couleurs et de textures, chaque plante conservant son éclat et ses propriétés grâce à un processus rigoureux. « Cet espace était idéal pour y installer un séchoir. Ici, tout est fait à la main, avec patience et soin. », confie-t-elle fièrement.

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Nous suivons Charlotte dans son jardin, « petit laboratoire à ciel ouvert ». Devant sa maison, les cultures s’étalent sur 2500 m² de prés aux contours arborés. Le terrain est situé en zone de montagne à 850 mètres d’altitude, exposées sud-est, au bord de la rivière du Drac et au contrefort des montagnes du Dévoluy. « C’est un jardin vivant. Je cultive, uniquement à la main, sans mécanisation et sans aucun produit chimique. L’accent est porté sur le maintien de la vie du sol, les associations culturales et la préservation de la biodiversité. », raconte-t-elle.

À mesure qu’elle nous guide dans ce havre de verdure, on sent l’harmonie qu’elle a su instaurer entre ses cultures et la nature. « J’ai pour projet de faire de ce jardin un espace pédagogique pour apprendre aux enfants, aux familles et aux curieux à reconnaître les plantes, comprendre leurs usages et respecter leur cycle. », explique-t-elle. À travers ses mots et sa passion, on comprend que Charlotte ne se contente pas de travailler avec la nature : elle vit avec elle, dans un respect mutuel. Une philosophie qu’elle s’efforce de transmettre, pour que ces savoirs millénaires continuent de fleurir, au cœur du Valgaudemar et au-delà.

Marie-Laure, la laine en héritage à Saint Firmin

Cet après-midi là, nous restons à Saint-Firmin pour pousser les portes des Laines du Valgaudemar. L’enseigne s’affiche fièrement sur un bâtiment chargé d’histoire, où résonne encore le cliquetis des machines centenaires. À l’intérieur, nous rencontrons Marie-Laure Laurent, la gardienne passionnée de cette filature unique, qu’elle a sauvée de l’oubli en 2021. « Ces vieilles dames ont besoin de beaucoup d’amour et de soin. », nous confie-t-elle en posant la main sur l’une des imposantes machines de cardage. Ici, tout est à l’image de son engagement : un mélange de passion, de préservation et de détermination.

Reprendre cette filature en 2021, c’était pour Marie-Laure une forme de retour à ses racines. « Mon grand-père et mon arrière-grand-père avaient une usine de tissage et de teinture dans le Rhône. Leur activité s’est arrêtée dans les années 70, mais j’ai grandi avec leurs récits. », explique-t-elle. Après des années à travailler dans la décoration d’intérieur, d’abord à Serre Chevalier puis au Canada, elle revient dans les Hautes-Alpes, où une rencontre avec l’ancien propriétaire de la filature scelle son destin. « C’était comme un clin d’œil à mon histoire familiale. Je ne pouvais pas laisser ce savoir-faire disparaître. »

Dans les ateliers, l’odeur de la laine brute mêlée à celle de l’huile des machines est presque envoûtante. « Ici, on travaille dans le respect des méthodes et savoir-faire d’autrefois. », explique Marie-Laure en désignant les fils qui s’étirent sous nos yeux. Chaque étape, du cardage au filage, se déroule dans ce lieu qui conserve toute son authenticité. Le regard pétillant, elle ajoute : « Je veux offrir des produits qui reflète cette vallée, sa richesse et son histoire. »

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Mais ce défi est aussi un hommage aux femmes qui, dans les années 1920, faisaient tourner cette filature alors que les hommes étaient au front. « Elles ont occupé tous les postes, inventé des solutions, amélioré les machines. Aujourd’hui, je suis fière de m’inscrire dans cette lignée. » Cette filature, Marie-Laure la dirige avec une énergie qui force l’admiration, portée par le soutien de son mari et d’une petite équipe dévouée dont Yvanic, le technicien gardien du savoir faire de la filature.

L’ambition de Marie-Laure ne s’arrête pas là. Avec un coin boutique aménagé dans l’atelier, elle souhaite reconnecter les visiteurs avec cet héritage industriel unique. « Les gens peuvent voir les machines en action, sentir les odeurs de laine et se rendre compte du travail qu’il y a derrière chaque pelote. » Elle rêve aussi de développer une filière locale, avec des éleveurs de moutons du Champsaur Valgaudemar, pour ancrer encore davantage cette production dans son territoire. « Sauver la filature, c’est préserver une part de l’histoire de cette vallée, mais aussi permettre à des familles d’y rester, d’y travailler. C’est ça qui me motive chaque jour. », conclut-elle avec une détermination contagieuse.

→ Jour 3 – Chloé & Josiane

Chloé, le retour aux (val des) sources à Saint Maurice en Valgodemard

Voilà une adresse où le mot « accueil » prend tout son sens. Le Val des Sources, à Saint-Maurice-en-Valgodemard, est bien plus qu’un hôtel-restaurant : c’est une maison de famille où l’on se sent immédiatement comme chez soi. En cette dernière matinée dans le Valgaudemar, nous franchissons la porte de cet établissement emblématique, curieux de rencontrer celles et celui qui le font vivre.

À l’intérieur, tout respire la convivialité : les tables en bois patinées par les années et les premières effluves appétissantes venant de la cuisine composent une scène qui respire l’authenticité. Rapidement, nous sommes accueillis par Chloé, un sourire lumineux accroché aux lèvres. « Vous voulez un café ? », lance-t-elle avec une aisance naturelle. Elle est vite rejointe par ses parents, Colette et Claude, les piliers de cette maison depuis plusieurs décennies.

Après une expérience au Canada, Chloé a décidé de s’investir pleinement dans cette aventure familiale. Colette, cheffe passionnée, et Claude, conteur intarissable sur la vallée et ses traditions, sont fiers de transmettre à leur fille l’histoire et l’âme du Val des Sources. « Ici, c’est plus qu’un hôtel ou un restaurant, c’est un lieu de vie, de partage. », nous confie Claude. Le trio familial dégage une énergie complice, entre le respect des traditions portées par Colette et Claude et l’envie de Chloé d’apporter sa touche personnelle : « Je veux préserver ce qui fait l’âme du Val des Sources tout en y ajoutant un peu de modernité. », explique-t-elle.

Sa passion pour la cuisine, héritée de sa mère, se traduit déjà dans des petites touches créatives qu’elle glisse dans les plats. « Ma mère a ce don de sublimer les produits simples, raconte Chloé. Ses ravioles et ses oreilles d’ânes sont des incontournables, mais j’aime aussi revisiter ces classiques avec des ingrédients nouveaux ou des techniques un peu différentes. » Dans le potager familial, elle choisit avec soin les légumes et les herbes qui viendront enrichir ses créations. Pour compléter sa carte, elle peut également compter sur le bassin de truites attenant au chalet et aux liens privilégiés que la famille entretient avec les producteurs locaux. Tandis que Chloé s’active en cuisine, Colette veille avec bienveillance, partageant ses astuces et ses secrets, notamment ceux transmis par sa belle-mère : « La cuisine, c’est une affaire de cœur ici, explique Colette. Voir Chloé s’investir avec autant de passion, c’est un bonheur immense pour nous. »

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De son côté, Claude, le patriarche, joue le rôle du sage et de l’ambassadeur. Toujours prêt à raconter une anecdote sur la vallée ou à partager l’histoire d’un plat, il accueille les clients comme des amis. « Nos hôtes viennent ici pour se ressourcer, mais aussi pour se reconnecter à une certaine simplicité, explique-t-il. Je leur parle des sommets qui entourent l’hôtel, des brebis qui pâturent plus haut, ou encore de la truite qu’ils dégustent. » Et lorsqu’il lance, un sourire en coin, « Connaissez-vous l’histoire des oreilles d’âne ? », c’est le début d’un récit captivant qui emporte son auditoire.

En plus du restaurant, la partie l’hôtel, avec ses chambres confortables au charme rustique, offre un cadre prisé des randonneurs et des amoureux de la nature. « Ce que nous offrons ici, c’est plus qu’un repas ou une chambre, c’est une expérience. Un moment hors du temps, au cœur d’une vallée qui invite à la sérénité. », explique Chloé avant d’ajouter : « C’est ce que je veux préserver. Que chaque client reparte avec le sentiment d’avoir été accueilli comme un membre de la famille. » Il ne fait aucun doute qu’avec l’énergie et à la passion de Chloé, la relève du Val des Sources est assurée.

Josiane, l’autre reine des ravioles à Saint-Jacques-en-Valgodemard

Dans le Valgaudemar, il est des figures qui incarnent à elles seules l’âme d’une vallée. Josiane Burban est de celles-là. À l’Auberge des Clarines, sur les hauteurs de Saint-Jacques-en-Valgodemard, cette doyenne rayonne par son énergie et son attachement à la vallée et à ses traditions culinaires. Celle que l’on pourrait surnommer la « reine des ravioles » est reconnue pour sa maîtrise de cette recette ancestrale qu’elle prépare avec une précision et une tendresse qui laissent deviner toute une vie consacrée à son art.

« Les ravioles font partie de l’histoire de notre vallée. », confie Josiane, sourire aux lèvres. Cette recette, transmise par sa belle-mère et perfectionnée au fil des années, mêle pommes de terre, farine et faisselle pour un résultat moelleux en bouche. Les gestes de Josiane, précis et assurés, racontent des décennies de pratique. « La recette se perd, et c’est bien dommage. Pour ma part, c’est toujours un plaisir de les préparer. », affirme-t-elle avec conviction.

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Au-delà de ses talents de cuisinière, Josiane est une mémoire vivante du Valgaudemar. « Ça fait plus de 330 ans que ma famille est sur ces terres. », raconte-t-elle fièrement, rappelant les racines profondes qui la lient à cette vallée. Elle n’a d’ailleurs jamais quitté sa ferme plus d’une semaine, trop attachée à ses montagnes et à son auberge, qu’elle considère comme son « bébé ». Pour témoigner de son profond attachement à la vallée, Josiane a publié un livre de recettes intitulé Richesses culinaires en Valgaudemar et Champsaur, un hommage vibrant aux traditions gastronomiques locales. « Ce livre, c’est une manière de sauvegarder ce patrimoine culinaire et de le transmettre aux générations futures. », conclut-elle.

Laure, Charlotte, Marie-Laure, Chloé, Josiane… sont autant de femmes qui incarnent l’âme du Valgaudemar. Par leur travail, leur passion et leur engagement, elles perpétuent une culture et des traditions profondément enracinées, de la terre aux sommets. Telles des sentinelles de ce précieux héritage, elles tissent un lien entre le passé et l’avenir, nous rappelant qu’au cœur de cette vallée, l’essentiel se trouve dans la simplicité et l’authenticité de chaque instant.

    En collaboration avec

    Office de tourisme du Champsaur Valgaudemar

    Le Champsaur Valgaudemar est un territoire vivant au fil des saison. Ici l’ Homme et la Nature vivent ensemble depuis toujours… Et le tourisme se pratique dans le respect d’un environnement d’exception au coeur du Parc National des Ecrins.

    https://www.champsaur-valgaudemar.com/

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