Voyage en terres du tricot

Guidées par une volonté commune de promouvoir la fabrication textile française, Mathilde Blettery et Karine Renouil-Tiberghien s’évertuent à défendre le savoir-faire du tricot, qui, il y a encore quelques années, était sur le fil du rasoir. Immersion à la manufacture Jean Ruiz, à Roanne, symbole d’une industrie textile française qui reprend des couleurs.

Bords de Loire et collines verdoyantes, bienvenue à Roanne, berceau du tricotage rectiligne. C’est ici, et plus précisément, à la Manufacture Jean Ruiz, que Karine, à la tête de trois manufactures de tricots en France et Mathilde, cofondatrice d’Ubac, une marque de chaussures et d’accessoires en laine recyclée, se sont rencontrées. « C’est Mathilde qui a fait le premier pas ! » souligne Karine.

Spécialisée depuis plus de 40 ans dans la maille haute gamme, la Manufacture Jean Ruiz dispose de savoir-faire uniques. Ces derniers sont incarnés par des femmes et des hommes passionnés par leur travail. Pourtant, il y a encore quelques années, l’usine était au bord de la faillite « pour de mauvaises raisons ». La reprise, en 2018, de cette entreprise par Karine et Arnaud, son associé, s’est avérée être une évidence.

Symbole d’un renouveau industriel français, la Manufacture de Tricots Jean Ruiz devrait être prochainement dotée d’une école de remaillage, technique qui consiste à assembler les pièces tricotées par les machines industrielles. Un savoir-faire en voie de disparition dont les dernières tenantes sont proches de la retraite. La manufacture vient également d’être labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EVP), unique distinction d’État associée à la reconnaissance des savoir-faire d’exception.

Faire perdurer le tricotage en France

Dans les années 90, la levée des quotas asiatiques entraine une chute des prix d’achat des vêtements tricotés. L’importation de produits textiles fabriqués en Asie explose, favorisée par des normes sociales et environnementales peu contraignantes. Dans ce contexte de concurrence peu loyale, 90% des tricoteurs français font alors faillite.

Je suis née avec la douleur d’une industrie qui disparaissait

Karine, gérante de la Manufacture de Layette et Tricots

Petite-fille du dernier président du groupe textile Tiberghien Frères, Karine n’a pu que constater le délitement de l’industrie textile française. « Je suis née avec la douleur d’une industrie qui disparaissait » confie-t-elle. Diplômée d’un école de commerce, elle a d’abord fait le choix de travailler au plus loin de l’industrie textile.

À 45 ans, comme un signe du destin, elle saisit finalement l’opportunité de revenir vers la tradition familiale. Elle s’associe à Arnaud de Belabre et reprend la Manufacture de Layette et Tricots, en sérieuse perte de vitesse, située à Tarbes: « Lorsque j’ai visité l’atelier, je savais que c’était là que je devais être. »

Aujourd’hui à la tête de trois manufactures de tricots, Karine montre qu’il est possible de vendre des produits tricotés en France. Grâce à la mobilisation des équipes des différents usines et à la confiance de marques comme Ubac, les manufactures retrouvent peu à peu leur rentabilité, de quoi envisager l’avenir sereinement !

Ubac: fabrication locale et matières durables

S’il y a une telle alchimie entre Mathilde et Karine, c’est peut-être parce qu’Ubac est aussi une histoire familiale ! Fils de commerçants, Simon, le compagnon de Mathilde et cofondateur d’Ubac, s’intéresse au monde de la chaussure dès son adolescence, dans les boutiques de ses parents. Il transmet rapidement sa passion à Mathilde et c’est ensemble qu’ils fondent Ubac, une marque de baskets et d’accessoires en laine recyclée fabriqués localement.

Je me suis rendu compte que l’entrepreneuriat était le meilleur moyen de changer les choses

Mathilde, cofondatrice d’Ubac

L’aventure Ubac commence en 2016. Fraîchement diplômés, Mathilde et Simon décident de retourner sur leur terre natale au coeur des volcans d’Auvergne pour peaufiner leur idée: « Je me suis rendu compte que l’entrepreneuriat était le meilleur moyen de changer les choses » explique Mathilde.

La marque puise son inspiration dans la nature. Le mot Ubac désigne d’ailleurs le versant de la montagne le moins exposé au soleil et donc le plus préservé de l’empreinte humaine. Après le succès de leur campagne sur le site de financement participatif Ulule, en 2018, le projet Ubac est devenu réalité. 

Les produits Ubac ont été pensés pour que leur conception s’inscrive dans un circuit vertueux. Convaincus par l’énergie de Karine, le savoir-faire de l’équipe et une technique de fabrication qui permet une confection sans aucune chute ou perte de matières, Mathilde et Simon ont choisi la Manufacture Jean Ruiz pour réaliser leurs bonnets. Côté baskets, la laine est recyclée, filée et tissée dans le Tarn, en région Occitanie.

Dans une démarche solidaire, Ubac reverse une partie de ses bénéfices à des associations de protection de l’environnement et de la nature comme la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO): « Cette année, nous avons récolté 5590 euros pour la LPO, trois fois plus que l’année dernière ! »

L’épisode « Vive le tricot recyclé » apporte un regard croisé entre deux générations et deux parcours différents mais une volonté commune: faire perdurer le tricotage en France, qui, il y a encore quelques années, ne tenait qu’à un fil.

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